samedi 3 janvier 2009

Le bon et le mauvais protectionnisme

Nous sommes en 1930. La crise de 1929 vient d’éclater mais nulle part la crise sociale n’a encore débouché sur la barbarie. En 1930, le chômage augmente dans tous les pays occidentaux mais rien d’irréversible ne s’est produit. En 1930, Pierre Mendes France écrit que pour éviter le chaos “une course de vitesse est engagée” et pour gagner cette “course de vitesse“, Mendès affirme qu’il faut créer très vite une monnaie unique européenne avec une gestion clairement politique et que tous les bénéfices de cette politique doivent être utilisés pour un projet social. L’idée est lumineuse ! Hélas, Mendès France n’est pas écouté. Et trois ans plus tard, après l’arrivée de Hitler, plus personne ne proposera un sursaut européen

En 1930, il était encore possible d’agir. Trois ans plus tard, il était trop tard.


Nous sommes en 2008. Comme en 1930, la bulle a éclaté. Le miracle libéral tourne au cauchemar … Après 30 ans de crise sociale, dans tous nos pays ce qui va aux salaires est trop faible pour maintenir la consommation. Et plutôt que d’augmenter les salaires, on a poussé les ménages à s’endetter. A s’endetter toujours plus. Jusqu’à ce que la bulle éclate.

Rien d’irréversible ne s’est encore produit mais nul ne peut nier la gravité de la crise. Et nul ne peut garantir que ce qui s’est passé en Allemagne dans les années 30 ne se passera pas en Chine dans les années qui viennent avec Taïwan dans le rôle de l’Alsace Lorraine. Comme en 1930, une course de vitesse est engagée. Nous autres socialistes européens, nous avons une responsabilité historique.

Voilà pourquoi nous voulons provoquer un sursaut européen et nous voulons que l’Europe agisse vite et fort pour changer les règles du commerce mondial. Et pour cela nous avançons des propositions concrètes. Elles ont été souvent caricaturées comme protectionnistes. Comme si le protectionnisme était forcément une abomination.

Le protectionnisme c’est comme le cholestérol. Il y a le bon et le mauvais. Le mauvais protectionnisme, ce serait de dire : dès aujourd’hui, sans avertissement, l’Europe met des taxes à ses frontières. Immédiatement, on arrête d’acheter les produits qui viennent de Chine. Alors que la croissance est déjà en train de s’effondrer en Chine et que les tensions sociales sont de plus en plus graves, une telle politique serait totalement irresponsable.

Par contre, rien ne nous empêche d’agir pour obliger la Chine à respecter les conventions sociales qu’elle a signées avant d’adhérer à l’OMC. La Chine a signé 22 Conventions sociales au B.I.T. Plus que les Etats-Unis ! Officiellement, personne en Chine ne devrait travailler plus de 8 heures par jour. Officiellement, tous les salariés devraient avoir un salaire et un logement décent … La Chine a signé 22 Conventions sociales mais elle n’en respecte quasiment aucune ! Voilà pourquoi tant d’entreprises délocalisent vers la Chine. Si nous ne réagissons pas, une grande partie de notre industrie va disparaître. Il faut obliger la Chine à respecter ses engagements.

Ce que nous demandons, ce n’est pas que l’Europe ferme ses frontières, c’est qu’elle ouvre les yeux et sorte de sa naïveté. Aujourd’hui, l’Europe est le premier client de la Chine. Quand on est le premier client, on a un vrai pouvoir de négociation : L’Europe doit fixer un calendrier contraignant pour obliger la Chine à respecter les conventions sociales qu’elle a signées.

Voilà le discours à tenir au Président chinois : Monsieur Hu Jintao, nous savons quelles difficultés vous affrontez. Nous ne ferons rien pour les aggraver. Mais, dans 3 ans, si vous ne respectez pas vos engagements, dans 3 ans, si vous n’avez pas fait des progrès considérables en matière sociale et écologique, nous taxerons tous vos produits.

Si l’Europe tenait ce discours, les délocalisations chuteraient immédiatement : plus aucun industriel ne prendrait le risque de délocaliser vers la Chine. D’ici 3 ans, soit les salaires ont augmenté, soit les produits seront taxés. Dans les deux cas, l’Europe a sauvé son industrie.

Si l’on sort des caricatures, si l’on débat vraiment de nos propositions, qui peut s’y opposer ? Après tout, ce que nous proposons, c’est simplement de généraliser ce qui a existé pendant 40 ans en Europe : des montants compensatoires. Pendant 40 ans, l’Europe a fonctionné avec un système de montants compensatoires entre l’Italie, la France, le Bénélux et l’Allemagne. Ce système a permis aux 6 pays fondateurs de l’Europe de converger lentement mais sans douleur vers un marché unique et une monnaie unique. C‘est tout simplement ce système que nous voulons que l’Europe mette en place dans ses relations commerciales avec la Chine.

Pierre Larrouturou, novembre 2008
Lien : nouvellegauche.fr

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Le protectionnisme européen compte avec Larrouturou un nouveau, et brillant, défenseur. Je m'en félicite car cela signifie que les idées, longtemps professées dans l'indifférence par Emmanuel Todd, prennent de plus en plus pied au sein du PS.
Après Hamon et Larrouturou, la fille de Jacques Delors ? je n'ose encore y croire...