dimanche 24 mai 2009

Qu'en est-il du partage des richesses ? Une analyse du rapport Cotis

Le rapport sur les salaires que Jean-Philippe Cotis a remis hier à Nicolas Sarkozy a suscité un début de débat sur le partage de la richesse entre salariés et actionnaires : le Medef souligne que ce partage est stable depuis une quinzaine d’années.
Les syndicats répondent que :
le niveau des salaires est à un plus bas historique (la part des salaires a baissé de 11 % depuis le point haut atteint en 1982, ce qui est considérable).
cette stabilité globale cache une accélération et une aggravation des inégalités au sein même de la catégorie des « salariés ».

Une étude de Camille Landais, de l’Ecole d’économie de Paris, montre un accroissement très rapide des inégalités entre salariés :
Evolution du salaire moyen entre 1998 et 2005
pour 90 % des salariés du bas de l’échelle + 4 %
pour les 1 % les mieux payés + 14 %
pour les 0,1 % les mieux payés + 29 %
pour les 0,01 % les mieux payés + 51 %

Au sein des “90 % du bas de l’échelle”, Camille Landais montre que ce qui va aux “50 % du bas de l’échelle” a commencé à diminuer nettement depuis 2001.
En résumé, la part des salaires dans le PIB est stable en France depuis 15 ans mais elle n’a jamais été aussi faible et, au sein même des salariés, on assiste à un accroissement considérable des inégalités : 12 % des salariés sont en dessous du SMIC (à cause de tous les emplois précaires, 1 salarié sur 8 gagne moins que le salaire “minimum”…) mais, en huit ans seulement, le revenu des 0,01 % les mieux payés a augmenté de 51 % !
Qu’en est-il au niveau européen ?
Une étude du FMI publiée en 2007 permet de montrer que la part des salaires a baissé de façon régulière depuis le début des années 1980.
Le pays dans lequel la part des salaires a le plus baissé ? L’Allemagne.
En obligeant les salariés au chômage à accepter très vite des petits boulots (sous peine de se voir supprimer les allocations chômage), la réforme Hartz 4 a provoqué le basculement de millions d’Allemands dans la classe défavorisée. Certes, les chiffres du chômage ont baissé, mais des millions de salariés gagnent moins de 600 euros par mois. Et maintenant que les exportations ralentissent, l’Allemagne s’enfonce dans une très grave récession.

Le pays dans lequel le partage salaires / bénéfices est resté le plus équilibré ?
Probablement, le Danemark
, grâce à son système de flexi-sécurité : un salarié qui tombe au chômage peut recevoir 90 % de son salaire pendant 4 ans, du moment qu’il est réellement en recherche d’emplois. Au Danemark, rien n’est fait pour obliger les chômeurs à accepter des petits boulots.
En France, 45 % seulement des chômeurs touchent une indemnité de l’Unedic, qui est, en moyenne, de 57 % du salaire brut. Au Danemark, quasiment tous les chômeurs touchent 90 % de leur ancien salaire. En France, la durée de l’indemnisation est très variable mais, pour beaucoup, elle n’est que de quelques mois (ce qui oblige beaucoup à accepter n’importe quel emploi). Au Danemark, tous ou presque sont assurés de 4 années de sécurité financière du moment qu’ils cherchent effectivement un emploi.
Résultat des courses : il y a trois fois moins de salariés en dessous du seuil de pauvreté au Danemark qu’en France et la part des salaires dans le PIB a moins diminué que chez nous. La sécurité donnée aux chômeurs a profité à tous les salariés.
La courbe du FMI montre aussi l’évolution de la part des salaires au Japon.
Elle a baissé encore plus qu’en Europe. Au Japon, 77 % des personnes au chômage ne touchent aucune indemnité. Du coup, beaucoup sont obligés d’accepter n’importe quel emploi et ceux qui ont un emploi ont tellement peur de perdre leur poste qu’ils ne sont pas en situation de négocier des augmentations de salaires.
Comme les dirigeants allemands, les dirigeants japonais ont tout misé sur une politique de l’offre : améliorer sans cesse la compétitivité pour améliorer les exportations. Cette stratégie, très douloureuse pour des millions de salariés, a fonctionné quelques années, quand la machine à consommer américaine tirait les exportations. Mais maintenant que les Américains, sur-endettés, diminuent leur consommation, l’Allemagne et le Japon voient leur économie s’effondrer (le PIB a baissé de plus de 12 % au Japon sur les six derniers mois !).
* * * *
De 150.000 à 200.000 personnes sont attendues dans les rues de Madrid, Bruxelles, Prague et Berlin, lors des trois “journées d’action européennes” organisées par la Confédération européenne des syndicats du 14 au 16 mai.
Les syndicats européens demandent un « plan extraordinaire de réduction du temps de travail dans tous les pays d’Europe » et une « vraie sécurité pour les salariés au chômage ». Ils ont raison. Sécuriser les salariés qui tombent au chômage permet de sécuriser l’ensemble des salariés. C’est une question de justice sociale mais aussi d’efficacité économique.
Il n’y a pas de stabilité économique sans justice sociale. L’Allemagne et le Japon, qui ont oublié cette évidence qu’elles avaient longtemps respectée, sont en train d’en faire les frais.Très lourdement.

Pierre LARROUTUROU est économiste.
Il vient de publier “Crise : la solution interdite” (éditions DDB).

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