vendredi 18 septembre 2009

La solution: le chèque carbone


Pour éviter qu’un débat confus ne débouche sur l’adoption de demi-mesures, il faut garder en tête ce qu’affirmait le chef économiste de l’Agence Internationale de l’Energie le 3 août dernier : « Les réserves de pétrole s’épuisent plus rapidement que prévu. Le temps du pétrole bon marché sera très bientôt derrière nous.» La production mondiale de pétrole devrait atteindre un maximum dans une dizaine d’années. La pénurie devrait se traduire par une augmentation forte et durable du prix du baril car la demande augmente et devrait dépasser l’offre disponible “dès 2010″.
Le pétrole était à 15 dollars le baril en 1998. L’an dernier, il est monté à 150 dollars avant que la crise ne fasse chuter le prix de toutes les matières premières, mais il a déjà recommencé à augmenter et une majorité d’économistes pensent qu’on n’échappera pas à une flambée des prix dans les dix prochaines années. En 2005 déjà, Patrick Artus, Directeur des études à la Caisse des Dépôts, affirmait que le prix du baril pourrait atteindre 300 euros en 2015 et que « la croissance mondiale pourrait s’arrêter en raison de la hausse très forte du prix des matières premières énergétiques.»
Le débat n’est donc pas “Pour ou contre une augmentation du prix de l’énergie ?” puisque de toutes façons le prix de l’énergie va fortement augmenter dans les prochaines années. La vraie question est “Quelleaugmentation ?” : une augmentation progressive, compensée et gérée collectivement ou une augmentation un peu plus tardive mais nettement plus violente, dévastatrice pour les plus faibles revenus et pour l’ensemble de notre économie ?
Et si les prix augmentent, où ira l’argent ? Sur les comptes en banque des actionnaires des compagnies pétrolières et des dirigeants des états pétroliers ou ces sommes resteront-elles sur le territoire européen pour financer des investissements d’avenir et donc créer de l’emploi ?
C’est un point fondamental à rappeler : si nous voulons éviter un choc pétrolier dévastateur, nous devons radicalement changer nos modes de vie.Une course de vitesse est engagée pour sortir de notre dépendance au pétrole.
Deuxième point fondamental : ce n’est pas parce que Nicolas Sarkozy a relancé le débat de façon assez “politicienne” que nous devons oublier la gravité du dérèglement climatique. Le Président du Groupe International d’Etude du Climat (GIEC), Rajendra Pachaury, est venu à Paris il y a quelques mois pour présenter des études récentes qui, toutes, confirment que le dérèglement climatique est plus grave et plus rapide que ne le prévoyaient les scénarios les plus pessimistes.
La fonte des glaciers est une vraie “bombe à retardement” : les glaciers de l’Himalaya fondent de plus en plus tôt au printemps, ce qui signifie que, en été, les cours d’eau que ces glaciers alimentaient sont vides (ou n’ont qu’un très faible débit) lorsque des millions d’habitants ont besoin d’eau pour leur alimentation et pour les cultures. Dans certaines zones, les glaciers de petite taille pourraient avoir complètement disparu dans 30 ans, et ainsi une source très sûre d’eau potable pourrait disparaître. Or ce sont souvent dans ces zones subtropicales, où vit déjà 70 % de la population mondiale, que la population va continuer de croître à un rythme rapide.
De moins en moins d’eau disponible pour une population de plus en plus importante… Si le dérèglement climatique se poursuit, combien de centaines de millions d’hommes, de femmes et d’enfants vont devoir quitter ces territoires ? Et pour aller où ? Que faire si les zones côtières, elles aussi très peuplées, deviennent nettement moins hospitalières à cause de la montée des eaux et des ouragans de plus en plus nombreux ?
Pour éviter que le dérèglement climatique ne débouche sur des conflits majeurs (guerre de l’eau ou conflit pour les territoires habitables), le GIEC a montré que les pays occidentaux doivent diviser par 4 leur production de gaz à effet de serre.
Eviter un choc pétrolier et éviter l’aggravation du dérèglement climatique : tel est le double objectif (la double course de vitesse) que doivent en permanence avoir en tête les dirigeants chargés de trancher le débat sur la fiscalité Carbone.
Avec la proposition de François Fillon d’une taxe carbone fixée l’an prochain à 14 euros par tonne de CO2, le système perd toute efficacité. Comme l’ont expliqué Cécile Duflot et Jean-Paul Besset en quittant l’Elysée la semaine dernière, “une contribution aussi faible va alourdir la facture des plus modestes sans dissuader les comportements les plus énergivores de ceux qui ont les moyens”.
Le rapport Rocard avait retenu l’idée d’une taxation de 32 euros par tonne de CO2 en 2010. Ce chiffre était déjà le fruit d’un compromis. Il semble impossible de créer une taxe plus faible. Et pour qu’une taxe d’un tel niveau soit acceptable politiquement et socialement, la meilleure solution est de créer d’abord un Chèque Carbone : avant tout nouveau prélèvement, il faut que chaque ménage reçoive en janvier prochain un chèque de 150 euros.
Le système de compensation que propose François Fillon est tardif (l’Etat rembourse après coup les sommes prélevées) et très peu lisible (une petite baisse des cotisations par ci, une petite baisse des impôts par là, un peu plus de prime à la cuve…). Avec une telle complexité et une telle opacité, nombreux seront les citoyens qui penseront que, une fois encore, on leur a menti et qu’on les a taxés de façon indue. Du coup, en 2011, un an avant la Présidentielle, nul ne prendra le risque d’augmenter le niveau de la taxe. Si l’on s’en tient au projet de François Fillon, la taxe est créée à un niveau trop faible pour être efficace et, faute de soutien populaire, elle restera durablement à ce niveau.
Par contre, si la même semaine, en janvier prochain, nous recevons tous un chèque de 150 euros alors qu’aucune nouvelle taxe n’a encore été créée, nul ne pourra contester l’honnêteté du dispositif. Dans tous nos immeubles, tous nos quartiers et tous nos villages, un débat s’amorcera entre voisins sur le thème « On va vraiment vers une crise majeure (sinon, ils ne nous auraient pas envoyé ce chèque). Comment utiliser ces 150 euros pour diminuer notre consommation et notre facture ? »
Avec un Chèque Carbone reçu en début d’année, tous ceux et celles qui feront des efforts pour diminuer leur consommation d’énergie sauront qu’ils sont gagnants en terme de pouvoir d’achat. Seuls seront perdants ceux qui continueront à rouler plus pour consommer plus…
Si l’on crée un Chèque Carbone avant de créer la taxe Carbone, l’augmentation progressive de la taxe devient tout à fait possible. Et pourquoi ne pas imaginer que chaque année, au moment où les citoyens reçoivent leur Chèque Carbone, un débat au Parlement et une soirée de débat sur une des chaines publiques de télévision permettent de faire le point sur l’état d’avancement de notre combat collectif contre le dérèglement climatique ?
Comment financer ce Chèque carbone ? Les travaux de la Fondation Hulot et de la Commission Rocard montrent que ce chèque pourrait être intégralement financé par le fruit de la taxe Carbone si l’on retient l’idée d’une taxe à 32 euros par tonne de CO2 produit (en Suède, la taxe est de 100 euros par tonne).
Toutes les enquêtes montrent qu’une majorité de Français ont conscience de la gravité de la crise climatique et que si l’intégralité de la future “contribution climat-énergie” était reversée aux ménages par le biais d’un chèque, seule une minorité s’opposerait à sa création.
En mai 1961, dans un discours resté célèbre, John F. Kennedy affirmait que les Etats-Unis se donnaient comme objectif d’envoyer des hommes sur la lune avant la fin de la décennie. Huit ans plus tard, le rêve devenait réalité… Aujourd’hui, nous sommes des millions à rêver que notre pays prenne enfin au sérieux la question de l’énergie et du climat et que tous ensemble, nous nous donnions les moyens d’être les pionniers qui prouveront, grandeur nature, qu’il est possible de diviser par 4 notre production de gaz à effet de serre sans renoncer -au contraire !- à une certaine qualité de vie. Pour y parvenir, il n’y pas de solution magique. Agir sur la fiscalité ne suffira pas. Mais la création d’un Chèque Carbone d’abord et d’une Contribution Climatensuite, serait un premier pas très important.

Pierre Larrouturou
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