dimanche 31 janvier 2010

Politique de santé : quelles alternatives aux politiques néolibérales actuelles ?


Compte-rendu de la conférence de Bernard Teper le 27 janvier 2009 à Lons-le-Saunier à l’invitation du Cercle Jean-Jaurès

Bernard Teper est le secrétaire national de l'Union des familles laïques (UFAL). Il a coordonné un livre intitulé Santé-Assurance-maladie : quelles alternatives au néolibéralisme ? paru en 2004 aux Editons Mille et une nuits. Il a co-fondé et animé les Etats généraux de la santé et de l'assurance-maladie (EGSAM) ainsi que le Collectif national contre les franchises, pour l'accès aux soins partout et pour tous et pour une sécurité sociale solidaire.

L’UFAL est un mouvement d’Education populaire. C’est très important pour moi de repartir de la base, au plus près des couches populaires car il s’agit pour nous de partir à l’assaut des consciences. Nous devons, comme le préconisait Gramsci, gagner le combat culturel, retrouver l’hégémonie politique pour ensuite pouvoir gagner le pouvoir politique.
Notre thématique de ce soir est extrêmement importante et pourtant trop peu comprise et débattue sur la place publique. Sachez que le budget de la Sécu (425 milliards d’euros) est supérieur au budget de l’Etat (300 milliards d’euros). L’ensemble de la protection sociale (sécu + chômage + handicap + personnes âgées) représente 540 milliards d’euros par an soit 31% du PIB de la France ! Peu présentes dans les campagnes électorales, ces questions sont fondamentales pour nos concitoyens.

1. Les fondements de la Sécurité sociale

Tout commence en 1943 avec la fondation du Conseil National de la Résistance (CNR). Il s’agit à l’époque de mener la bataille militaire, bien sûr, mais aussi de préparer un projet politique pour l’après-guerre.
Les ordonnances créant la sécu datent d’octobre 1945, sous le gouvernement d’union nationale dirigé par le Général de Gaulle. C’est le principe de solidarité républicaine qui est à la base de la sécu : chacun paie selon ses moyens et reçoit selon ses besoins. On en est loin aujourd’hui…
En effet, dès les années 1950, autour de la société du Mont Pèlerin et de Van Hayek, certains milieux préparent la contre-révolution néolibérale que nous subissons depuis 40 ans.

2. Comment a-t-on détruit ce principe de solidarité républicaine ?

De 1945 à 1967, rien ne change. La sécu est gérée par les représentants élus des assurés sociaux. Ce n’est ni l’Etat, ni le marché qui décident.
La réforme de 1967 est la première étape de ce processus de contre-réforme. En effet, c’est le début du paritarisme (gestion 50% du patronat, 50% des syndicats). Mais les attaques ne viennent pas que de la droite.
En 1983, le vers est déjà dans le fruit avec l’introduction des premières franchises et du forfait hospitalier.
En 1995, la réforme Juppé fait entrer la sécu dans l’air de l’étatisation avec la création des Agences Régionales d’Hospitalisation (ARH), structure totalement bonapartiste au service de la marchandisation de l’hôpital : ce qui est rentable passe dans les cliniques privées, ce qui ne l’est pas reste dans l’hôpital public.
En 2001, le cadre juridique des mutuelles est aligné sur les règles assurantielles.
En 2002, c’est l’accélération de la privatisation avec le plan Hôpital 2007 est la tarification à l’acte (T2A).
En 2003, c’est la montée en puissance des mutuelles privées.
En 2004, l’augmentation des franchises entrainent une forte hausse de la renonciation aux soins, estimée aujourd’hui à 17% des Français. Cette pratique est totalement contre-productive car les pathologies deviennent plus lourdes, traitées tardivement et à l’hôpital d’où un surcout pour la sécu…
En 2008, le taux de remboursement de la sécu passe à moins de 75%

3. Le « trou » de la sécu

Rappelons que 6% de la population représentent 52% des dépenses de la sécu, mais bien sûr, ces 6% ne sont pas toujours les mêmes.
Ce qui coûte cher, ce sont les pathologies lourdes et la fin de vie. C’est pourquoi le privé fait tout pour exclure ces cas-là en draguant les jeunes qui ne coûtent rien !
La sécu avait une double solidarité : solidarité selon les revenus et solidarité selon l’âge. Aujourd’hui, on est passé du principe de solidarité à la gestion du risque, renvoyant chacun à sa propre personne.
Alors ce trou n’en est pas un ! Il y a simplement eu sur 25 ans le déplacement d’un peu moins de 10% de la richesse produite en France des salaires (et donc des cotisations) vers les profits. Ce manque à gagner représente 170 milliards d’euros par an ! Pour information les prévisions du « trou » de la sécu pour cette année sont de 30 millions de déficit…seulement.

4. Les retraites

Je ne rentrerai pas dans le détail ici car les logiques sont les mêmes que pour la santé. Rappelons-nous que les retraites ont 3 manettes :
· Le montant des prélèvements
· Le montant des retraites
· La durée de cotisation
Si on considère, comme les néolibéraux, que les deux premiers outils sont intouchables, alors en effet il ne reste que la durée de cotisation dans le débat ! Je refuse cette logique, il faut discuter des trois manettes d’intervention !

5. L’actualité des contre-réformes

La loi Bachelot ou HPST accentue les dérives déjà observées :
· l'Hôpital devient véritablement une entreprise
· création de Communautés Hospitalières de Territoire (CHT) qui permet de justifier la fermeture des maternités et hôpitaux de proximité
· création des Agences Régionales de Santé (ARS), paroxysmique de ces méthodes bonapartistes au service du néolibéralisme.
Précisons aussi que le récent projet de financement de la sécu a légalisé, avec accord de presque tous les syndicats, le secteur dit optionnel qui pratique les dépassements d'honoraires.
On comprend bien ainsi que l'étatisation du système n'a été qu'une étape nécessaire pour accomplir sa privatisation actuelle et à venir si rien ne change. Le processus de marchandisation de la santé se poursuivra à moins qu'un sursaut civique, une insurrection des consciences se fassent jour. Il faut donc intensifier, ce que nous faisons ce soir, notre grande campagne d'éducation populaire, mais aussi présenter un projet alternatif.

6. Un projet alternatif :

· Il faut sortir d'une logique de soin pour avoir une logique de santé. Ce ne sont plus les maladies infectieuses qui présentent le plus de problèmes aujourd'hui en France mais les maladies chroniques qui demandent certes des soins mais aussi et surtout de la prévention.
· Il faut mieux répartir les richesses, augmenter les salaires et donc la part des salaires dans le PIB pour retrouver des marges de financement de la sécu.
· Le remboursement de la sécu à 100% doit être un objectif. Rien d'impossible, les règles concordataires de l'Alsace-Moselle le rendent effectifs dans 3 départements français, pourquoi pas partout ailleurs ?
· Il faut rétablir les élections à la sécu et que les représentants des assurés soient aux manettes de la gestion
· Il faut une recherche pharmaceutique dans le public et pour le public, cela éviterait l'intox de la grippe H1N1...
· Pour rééquilibrer la démographie médicale et refuser les « déserts médicaux », nous proposons un numerus clausus régional qui surdorerait les régions déficitaires et obligerait les nouveaux médecins à accomplir 5 ans de service dans leur région de formation.
· Il faut arrêter la fermeture des maternités et hôpitaux de proximité. Ce sont les personnels médicaux et non les patients qui doivent se déplacer.

Conclusion
La protection sociale est victime de la privatisation-marchandisation et cela risque bien de s'amplifier tant la volonté de détricoter la sécu de 1945 est forte dans les milieux patronaux.
Le monde de la santé est au centre de l'attaque néolibérale car c'est un secteur qui permettrait d'augmenter leurs profits.

Jean-Philippe Huelin

3 commentaires:

Anonyme a dit…

pour info c'est le député Jurassien démocrate chrétien Charles Viatte qui est un des fondateurs de la sécurité sociale...tout le monde l'a oublié sauf moi...son biographe...comme quoi en politique, la mémoire est chose relative...
J Philippe Lefèvre

Anonyme a dit…

Le rapporteur Charles Viatte avait trouvé trop partielle la loi du 17 janvier 1948 créant une organisation professionnelle de la Sécurité sociale (et validant l'existence des régimes spéciaux ...), et travaillé à ce qu'elle soit applicable et acceptée par tous.

Le pauvre ... Pas moins de 62 ans après, que penserait-il des avancées sociales et de la solidarité nationale ? ...

Patrick Viverge a dit…

Merci Jean Philippe
Je vais organiser une réunion publique sur ce thème et j'aurai plaisir à t'y inviter
Patrick