mardi 11 mai 2010

« La crise est finie » ?

1) Crise, la croisée des chemins
(7 mai 2010, blog.mondediplo.net)

[...] tenter de réduire ou de maintenir le déficit en phase de récession demande des hausses d’impôts et des baisses de dépenses si violentes qu’elles aggravent immanquablement la situation qui leur a donné naissance … laissant au total les finances publiques dans un état plus dégradé qu’au départ [...] « acheter » un [...] « degré » de tranquillisation de la finance devient d’un coût économique et social explosivement croissant. [...]

[...] Rigide absolument, l’union économique et monétaire n’a que le choix de rompre ou de voir ses règles bafouées – mais avec quel effet sur l’opinion financière ... C’est évidemment le cas du pacte de stabilité, devenu fictif depuis l’entrée en crise économique de 2008. Ça l’est également des règles d’intervention de la BCE [...]

faut-il laisser les Grecs aller au défaut ? [...] Du point de vue des Grecs seuls, la question mérite d’être étudiée. Si l’on veut répondre oui cependant, il faut répondre complètement, c’est-à-dire en accompagnant le défaut d’une sortie, éventuellement temporaire, de l’euro. [...] l’ajustement de change est constitutivement interdit par la monnaie unique [...] Plusieurs personnes, dont Jacques Sapir, avaient plaidé à l’époque pour une monnaie commune [...] par rapport à laquelle les monnaies européennes auraient reçu chacune une parité de départ, mais révisable selon non pas des mécanismes de marché [...] mais des processus de négociations politiques [...]

à supposer que le calme revienne prochainement, il serait tout à fait temporaire. Le plan grec est auto-invalidant ! [...] Que peut-il se produire au moment où les gouvernements européens prendront conscience de leur stratégie des Danaïdes et jetteront l’éponge ? [...] le gouvernement grec pourrait tout à fait en venir aux assignats : il émettra lui-même du papier pour payer ses dépenses en excès sur ses recettes. C’est bien ce que les provinces argentines ont fait au début des années 2000 (patacones) … et ce que fait la Californie depuis 2009 [...]

la contagion, à l’inverse de la guerre de Troie, aura bien lieu ! Que peut-il se passer à ce moment là ? Il n’y a pas trente six solutions : seul le prêteur en dernier ressort a la capacité de sauver le système : la banque centrale. C’est bien elle qui est intervenue pour régler le problème des dettes bancaires privées. C’est elle qui devrait intervenir pour régler le problème des dettes publiques consécutif au problème des dettes privées. À ceci près que le divin traité l’interdit ! Sauver la finance privée, c’est autorisé. Sauver les finances publiques, non.

[...] la BCE doit pouvoir prêter directement aux États. Les Anglo-Saxons, à qui on reconnaîtra la vertu d’avoir le dogme moins encombrant, s’en sont tirés en bafouant leurs principes antérieurs par un simple jeu de renomination : [...] la vulgaire planche à billets qu’on avait juré définitivement fracassée. Tout bien considéré, elle peut encore servir, et même elle ne marche pas si mal ! La Bank of England et la Réserve Fédérale n’ont pas hésité bien longtemps et financent ouvertement leurs Trésors respectifs.

[...] les benêts de « la crise est finie » s’y laissent prendre à tous les coups : ils ont oublié qu’entre le krach de 1929 et le pire de la Grande Dépression, il a fallu quatre ans de décomposition [...] C’est donc peut-être, dans ce chaos, une époque qui s’apprête à se refermer. Une époque dont le symptôme aura été le surendettement généralisé. Le paradoxe veut que ce soit un symptôme parfaitement libéral, là où le libéralisme se targue d’être le discours même de la vertu. Car tous les surendettements dérivent de la déréglementation générale.

[...] Tout le monde a idée de l’énormité du volume des transactions et de ce que leur taxation peut rapporter comme recettes phénoménales. Gageons qu’il y a là largement de quoi rembourser les dettes publiques ; aider au financement des retraites, etc. Les amis de la banque vont hurler qu’on prend leur chère finance pour une vache à lait, qu’on veut la traire, peut-être même la tuer. Et ils n’auront pas tort.

Frédéric Lordon

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2) Le second hold-up des marchés financiers
(Les dessous de Bruxelles)

[...] Si le gouvernement grec annonçait un déficit autour de 6 % du PIB en 2009, George Papandréou, arrivé à la tête du gouvernement en octobre 2009, dévoile la réalité des chiffres : un déficit de 12,7 % du PIB et une dette publique de 300 milliards d’euros fin 2009 (113 % du PIB). Des chiffres qui n’ont rien d’une exception. Le déficit des États-Unis qui atteint 10,5 % en février, celui de l’Espagne à 11,5 %, celui de l’Irlande à 12 %.

Pourtant, sans le savoir, le premier ministre grec donnait le signal de départ d’une nouvelle bulle spéculative qui allait faire la fortune des investisseurs, et le malheur des salariés grecs. Au cœur de la mécanique de ce mouvement spéculatif, une « innovation financière » : les assurances contre le défaut de paiement (CDS pour credit default swap).

Le principe est simple [...] « C’est comme si quelqu’un prenait une assurance-incendie sur la maison de son voisin. Il aurait alors tout intérêt à y mettre le feu pour toucher l’assurance », selon le bon mot du Premier-Ministre Papandreou.

[...] Ce sont surtout les salariés qui trinquent : retraites, salaires (déjà pas énormes) sont passés à la moulinette tandis que les coupes budgétaires hypothèquent toute reprise de l’économie. L’activité stagne, le chômage augmente, les rentrées fiscales du gouvernement s’écroulent et le déficit se creuse. La boucle est bouclée.

[...] certains des opérateurs disposant d’une taille critique sur les marchés financiers, leur faillite pourrait représenter un risque systémique d’écroulement de l’ensemble du système financier. [...] Les spéculateurs pouvaient faire un pari sans risques : les enjeux seraient trop importants pour que les gouvernements de la zone euro ne laissent la Grèce se déclarer en défaut de paiement.

C’est donc le pistolet sur la tempe que les gouvernements européens ont été amenés à signer leur « plan de sauvetage » de la Grèce.
Dont la menue monnaie est avant tout destinée aux coffres des investisseurs. Les acrobates de la finance ne sont jamais autant inspirés que lorsqu’ils savent pertinemment que les Etats allongeront leur « filet de sécurité » au moindre risque systémique.

« Quand une bulle est formée, il est trop tard. Elle crèvera nécessairement, avec l’éventualité d’armer tous les mécanismes du risque systémique - c’est-à-dire de la prise d’otage des pouvoirs publics sommés de venir socialiser les pertes sous peine de risquer un collapsus majeur » explique Frédéric Lordon dans son ouvrage Pour en finir avec les crises financières.

Eric Scavennec

Jusqu’à quand ? Pour en finir avec les crises financières

(Frédéric Lordon, Raisons d’Agir, 2008)

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