mercredi 12 mai 2010

Main-d’œuvre enfantine mondiale

Travail des enfants, les leçons des pays émergents
(monde-diplomatique.fr,
10 mai 2010)

De nouvelles statistiques du Bureau international du Travail viennent de rappeler que la main-d’œuvre enfantine constitue un volant persistant de la population active mondiale. [...] la crise économique risque d’accroître encore le nombre d’enfants actifs, en aggravant la précarité du travail des adultes.

[...] S’il augmente en temps de crise, le travail des enfants régresse-t-il avec le retour de la prospérité, comme on pourrait le penser ? Pas si simple : les fruits de la croissance restant inégalement distribués. Nulle part l’essor économique des années 2000 n’a pu venir à bout des poches de pauvreté profonde, véritables réservoirs d’enfants travailleurs.

[...] Les groupes sociaux contraints de faire travailler leurs enfants sont en effet les exclus permanents de la prospérité [...] En fait, le travail des enfants se maintient surtout parce qu’il se montre utile dans un modèle économique fondé sur la compression des coûts du travail. Le très faible niveau de salaire des enfants – environ la moitié de celui des adultes, et toujours inférieur aux minima légaux – encourage les secteurs à forte intensité de main-d’œuvre à les utiliser dans les fabrications manuelles peu qualifiées [...]

Loin de disparaître avec la prospérité, l’emploi d’enfants se redéploie en périphérie des nouveaux secteurs de croissance. [...] Il ne s’agit donc pas d’un phénomène archaïque, isolé du reste du marché du travail [...] il constitue bien un rouage de l’économie [...] le consommateur mondial achète tous les jours des produits où des mains d’enfants sont intervenues à un stade ou un autre de la fabrication [...]

Si, jusqu’alors, la pléthore de lois prohibant le travail des enfants n’a pas réussi à le faire disparaître, c’est qu’il ne suffit pas de l’interdire : encore faut-il briser les mécanismes qui le sous-tendent. Et dans ce domaine, les leçons venues des pays émergents se révèlent instructives.

Dans ces pays (Brésil, Inde, Mexique, Chine...), ni la croissance élevée ni le recul relatif de la pauvreté n’ont mécaniquement fait décroître le travail des enfants. Seul un élément a fait la différence : la mise en place de politiques ciblant la vulnérabilité des plus pauvres. [...] Bien sûr, ces suppléments de revenus ne changent pas radicalement la vie des plus pauvres et encore moins les structures sociales des pays concernés.

Mais ils jettent indéniablement les bases d’un système de protection sociale. Ils montrent aussi que dans les pays émergents, l’enrichissement visible de la classe moyenne n’est socialement – et politiquement – pas tenable si rien n’est fait en faveur de ceux qui regardent passer le train de la prospérité sans pouvoir y monter.

L’expérience du Brésil montre qu’un pays du Sud peut développer avec pertinence ses propres stratégies ; ce dernier a d’ailleurs lancé une coopération Sud-Sud pour le travail des enfants, en partenariat avec le BIT.

Dans les instances internationales, cette expérience a fait évoluer le regard porté sur les services publics, en rappelant les bénéfices de bons équipements éducatifs. Au final, son mérite est d’avoir mis en évidence la nocivité du laissez-faire économique et d’avoir réhabilité le rôle de l’Etat social.

Pour autant, tout n’est pas réglé [...] Les pays pauvres, qui dépendent de l’aide au développement et des transferts de fonds des migrants, ne disposent pas des budgets nécessaires pour lancer de telles politiques à grande échelle. Mais tel n’est pas le cas de leurs bailleurs de fonds. Et ces institutions internationales, qui leur ont si longtemps imposé une amputation des dépenses sociales, avec de lourdes conséquences sur le niveau de pauvreté et le délabrement de l’école publique, seraient aujourd’hui bien inspirées de se raviser et d’aider massivement ces pays à emprunter la voie brésilienne.

Ce n’est qu’à ce prix que la fin du travail des enfants cessera d’être une utopie hors de portée des pays du Sud, pour devenir, à terme, un objectif raisonnablement envisageable.

Bénédicte Manier

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