dimanche 25 juillet 2010

Question d'honneur

Sarkozy, le décorateur de l'Elysée
(Élise Karlin, 23/07/2010, lexpress.fr)

[...] il y a quelques mois, Nicolas Sarkozy épingla la médaille de chevalier au revers du veston de Franck Albert Nahmani [...] "spécialiste incontesté des plus beaux cachemires [...], virtuose de l'élégance masculine".
Mais que lui vaut donc d'avoir été ainsi distingué par l'homme le plus puissant de la République ? Officiellement, ses "trente-trois ans d'activités professionnelles", telles qu'inscrites au décret du 31 décembre 2009 portant élévation aux différentes dignités de l'ordre national de la Légion d'honneur.
En réalité, Franck Namani a un mérite : fabriquer des costumes qui siéent à merveille au président. La gratification tient parfois à un fil.

Car Nicolas Sarkozy a une manière toute personnelle d'interpréter les critères auxquels doivent répondre les personnalités que la nation entend récompenser pour "services exceptionnels ou éminents dans toutes les activités".

[...] le 30 juin, a-t-il décoré Eric Cesari, épinglé au titre sans flonflon de "directeur général de l'UMP" - en fait, l'un des hommes clefs du système sarkozyste.

[...] des happy few qui guinchèrent à ses côtés pour fêter sa victoire, le 6 mai 2007, et dont la liste figure dans La Nuit du Fouquet's [...] 19 des 56 personnalités citées ont été distinguées en trois ans, dont huit pour la première fois. Les 11 autres ont été promues, certaines pas plus tard que le 14 juillet:

[...] le nouveau monarque de l'Elysée a fait de ces rites républicains l'un des instruments à l'aulne desquels il mesure son pouvoir ; il goûte les rires qui saluent forcément ses bons mots, les invités qui s'agglutinent pour le saluer, parfois juste pour l'approcher ; il choisit ceux qu'il distinguera d'une accolade, d'une attention

[...] le chef de l'Etat ne boude pas son plaisir lors des décorations individuelles, une trentaine par an, celles qui dessinent en pointillé la carte de la galaxie sarkozyste.

Il y a les amis de toujours, ceux qui n'ont jamais moqué sa certitude d'avoir un destin, comme Isabelle Balkany, décorée le 27 mai 2008, ou Roger Karoutchi, qui a intégré le cursus honorum en décembre 2009.

Il y a les grands patrons qui l'ont soutenu [...] comme le milliardaire Antoine Bernheim, ex-président de Generali, ou encore Albert Frère, la première fortune de Belgique, et son associé canadien Paul Desmarais, tous trois élevés au rang de grand-croix.

Il y a ceux qui l'ont aidé à sonder le pays pour mieux lui ouvrir les portes du Palais : le politologue Pierre Giacometti, qui travaille aujourd'hui pour l'Elysée, l'ancien journaliste Patrick Buisson, qui oeuvre toujours en direct pour le président, ou encore l'essayiste Alain Minc, prodigue de ses conseils.

Il y a les politiques, ceux des Hauts-de-Seine et les autres, l'avocat Robert Bourgi, éminence grise controversée de la "Françafrique", Valérie Hoffenberg, décorée en 2008 au titre de directrice du bureau français de l'American Jewish Committee, mais qui est aussi une militante UMP proche du futur ex-trésorier Eric Woerth [...]

il y a aussi ceux qu'on remercie pour service rendu - Nicole Choubrac, la juge qui a prononcé son divorce d'avec Cécilia ; Jacques Séguéla, qui lui a présenté Carla Bruni lors d'un dîner [...]

Et puis il y a les people [...] Dany Boon, le réalisateur acteur de Bienvenue chez les Ch'tis, l'humoriste Muriel Robin, le compositeur Didier Barbelivien, le comédien Christian Clavier...

Ce président qui peut se montrer si désinvolte, comme le 21 mai 2008, aux Invalides, lors d'une remise de décorations à d'anciens combattants, laissant tous les participants ulcérés, trouve chaque fois le mot qu'il faut devant un capitaine d'industrie ou un restaurateur de ses amis.

Car lorsqu'il récompense ces success stories, ces "ascensions prodigieuses", ces "formidables réussites", c'est encore à sa propre histoire qu'il rend hommage. Dans le miroir qu'il leur tend, c'est presque toujours son image qu'il flatte.

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Lettre de Jacques Bouveresse à Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur
(Agone, 26 juillet 2010)

En réaction à l’attribution d’une Légion d’honneur qu’il n’a jamais demandée, Jacques Bouveresse nous a transmis la lettre (en date du 17 juillet 2010) par laquelle il a refusé cet « honneur ».

Madame la ministre,

Je viens d’apprendre [...] que je figurais dans la liste des promus de la Légion d’honneur, sous la rubrique de votre ministère, avec le grade de chevalier. [...]

j’ai [...] fait savoir clairement, la première fois que la question s’est posée, il y a bien des années [Il s’agissait alors d’une proposition émanant du ministre socialiste Jack Lang] et à nouveau peu de temps après avoir été élu au Collège de France, en 1995, que je ne souhaitais en aucun cas recevoir de distinctions de ce genre. [...]

Il ne peut, dans ces conditions, être question en aucun cas pour moi d’accepter la distinction qui m’est proposée et [...] encore moins d’un gouvernement comme celui auquel vous appartenez, dont tout me sépare radicalement et dont la politique adoptée à l’égard de l’Éducation nationale et de la question des services publics en général me semble particulièrement inacceptable. [...]

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