jeudi 30 décembre 2010

Hugologiste

Il y a sans doute deux types d'hommes. d 'un côté dans leur monde d'images, d'écrits, de paroles, il y a les poètes, les romanciers, les humoristes... Ils colorent notre existence, aèrent notre esprit. Ils ne vivent pas de chiffres.
En face campent les sérieux. Ils comptent, entreprennent, forent, exploitent travail et nature. Ils sont dans les affaires. La réalité est leur environnement naturel.
Alors quand il s'agit d'administrer les choses publiques, qui souvent côtoient les privées, ou de faire des choix techniques qui formateront la civilisation et engageront l'avenir de la Société, c'est aux seconds que, sagement croît-elle, celle-ci confie les clés.

Et pourtant rêvons un instant qu'aient été entendues et écoutées les visions d'hommes de lettres.
Un des plus réputés d'entre eux, auteur de la Légende des Siècles aurait pu nous en faire gagner un, le 20ème, au cours duquel les pétroliers ont bâti leur empire sur le sac de notre planète.
Que nous dit Victor Hugo, curieux de tout donc de science? Pré écologiste il appelle de ses voeux la fin de « l'horrible charbon de terre ». « Le jour viendra où la surface du sol sera aménagée pour emmagasiner la chaleur solaire. Transformée en électricité cette chaleur sera distribuée partout. Soyez sûrs que le soleil envoie chaque jour à la terre la quantité de lumière, la quantité de mouvement dont l'activité humaine a besoin. J'ai dit cela il y a 40 ans. Je le redis aujourd'hui. » C'était en 1880! Il n'a que 78 ans.
Deux ans plus tôt en 1878, à l'occasion de l'expo universelle de Paris, le public français découvrait le « moulin américain »,éolienne multipale et orientable, pompe à eau des plaines du Far West.
Puis tout est dit sur l'éolien par un ingénieur de Arts et Métiers; E. Hospitalier: « la machine électro-magnétique de Gramme, mue par le moulin à vent, pourra charger des piles Planté qui accumuleront le travail du vent; on aura ainsi régularisé, emmagasiné, asservi une force variable et inconstante pour lui faire exécuter, à intervalles réglés un travail régulier et constant. »
Il n'en fallut pas plus pour qu'un duc, de Feltre, décide de passer aux actes et utiliser près du Havre une éolienne pour produire de l'électricité. Les sérieux d'alors ironisent et le traitent, offense ultime à leurs yeux, de « poète ».

Allez on fonce! Avec Alphonse Allais apprêtons-nous à quitter gaiement le siècle du « charbon et de la vapeur pour le 20ème, dont le destin n'était pas scellé. Echappant à l'empire des trusts pétroliers, il eut pu être le siècle des ER. « Espérons » écrit, très sérieux, l'humoriste en novembre 1900 « puisque nous voilà bientôt dans le 20è siècle, que nos ingénieurs trouveront ou plutôt généraliseront d'autres sources d'énergie que ce procédé primitif (charbon->vapeur). Le jour viendra où l'homme aura tiré des flancs du globe toute la houille, pompé tout le pétrole et ce jour-là je me demande ce qu'elle fera l'humanité cette étournelle! Préparons-nous dès à présent à cette date. Habituons-nous à nous passer de la vapeur. Fabriquons toute notre électricité avec ces moteurs naturels qui s'appellent chutes d'eau,le flux et le reflux des marées, le vent etc... »
Rêvons d'un 20è siècle qui n'eut pas fondé son industrie, son agriculture, son urbanisme à 90% sur le pétrole, mais sur les mouvements de l'eau et de l'air, la lumière du soleil et la chaleur des entrailles de notre Terre-Mère, qui permettaient une production propre, durable et répartie de l'énergie.
Rien d'étonnant que les sérieux l'aient emporté sur les visionnaires. Gestionnaires ils savent compter, forer, pomper, ériger monopoles et conglomérats. Ils font les choix économiques. Ils ont donc le pouvoir.
Et l'on apprit vite ainsi à défossiliser en un an le carbone stocké en 1 million d'années dans l'or noir.
« SOS, le climat change » gémissent les pessimistes.
« L'environnement ça commence à bien faire » rétorquent les pragmatiques. « Positivons » ajoutent-ils, « le verre n'est pas à moitié vide. Il est à moitié plein ». Demain coulera le champagne des Highlands, le pur malt groënlandais. Le rêve nautique du passage du Nord sera réalité. Adieu Panama, scandaleux canal aux écluses fastidieuses. Au coeur de l'interminable été sibérien, dans l'allégresse nous fêterons la moisson des blés d'or Monsanto, sur les rives septentrionales des fleuves Ob et Ienissei, là où hier s'ébrouait en bandes le frileux Mammouth.

Exxon, Total, Shell eurent la haute main sue le siècle dernier. Faudra-t-il qu'ils aient séparé les ultimes traces de pétrole des schistes canadiens et ouvert les vannes de ce méthane qui git inoffensif sous le permafrost pour réaliser que désormais il y a plus de profit à tirer des ER?
Produire plus propre pour gagner plus. Voilà bien la Formule 1 d'un développement qui dure!
Poètes, littérateurs et philosophes, réfléchissez: Shell, Total et Exxon, et aujourd'hui Areva, déléguant la gestion de l'énergie, le pouvoir en quelque sorte, aux gens! Illuminations! C'est un peu comme si vous osiez prétendre que l'eau n'appartient pas à Veolia et que Leclerc n'est pas un misanthrope!
Alors continuez à colorer notre existence. Nourrissez nos rêves. Et surtout faites nous rire de ces usurpateurs qui de nos biens naturels font leurs marchandises.
Pariant pour vous divertir sur une pensée de Blaise Pascal, je laisse au savant et philosophe le mot de la fin. « Il ne faut pas que le peuple sente la vérité de l'usurpation: elle a été introduite autrefois sans raison. Elle est devenue raisonnable. Il faut la faire regarder comme authentique, éternelle, et en cacher le commencement si on ne veut pas qu'elle prenne fin.

PS: Cette dernière citation figura en préface de l'essai éclairant de Viviane Forrester « L'horreur Economique »
(Foyard – 1995)

Michel Moreau

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