mercredi 2 janvier 2013

Comment François Hollande nous a bernés (comme Sarkozy) sur la politique de santé

Le miracle n'a pas eu lieu. Le candidat François Hollande a laissé place au président, et avec l'élection se sont évanouies les promesses. Dans le domaine de la santé, il marche sur les traces de son prédecesseur. Seule la forme change pour Yvon Le Flohic et Christian Lehmann, médecins généralistes.

 My name is Normal. François Normal. J’ai succédé à l’autre agité. J’avais bien saisi que les Français en avaient marre, j’ai joué l’apaisement, la tranquillité. Pendant la campagne, j’ai juste élevé la voix deux ou trois fois, en choisissant bien mes cibles.

"Mon adversaire, c’est le monde de la finance…".Gros succès d’orateur.

Flatter l'économie

Les éditorialistes proches du manche ont bien couiné un peu, mais je suis vite allé en Angleterre expliquer au "Guardian" qu’il ne fallait pas me prendre au mot, que la finance, je m’en arrangerais, comme s’en était arrangé François Mitterrand, sous le règne de qui la part de la richesse nationale dédiée aux revenus du travail a commencé à dévisser pour perdre, en 25 ans, 10% par rapport aux revenus financiers.

Un quart de siècle, et personne ou presque ne dénonce la manip'. Comme quoi le vieillard aux dents limées avait raison : "Il faut donner du temps au temps."

Comme dit Henri de Castries, mon ami de 30 ans, accessoirement directeur des Assurances AXA : "Il faut une génération pour changer un système de santé".

J’ai succédé à l’autre agité.

Mon but premier : rassurer les marchés, ne rien changer à l’ordre du monde, à la répartition des richesses entre les puissants… et les autres. Et avant tout, tenir les critères de la dette, afin de conforter le système bancaire, afin d’éviter que les spéculateurs n’attaquent le pays comme ils l’avaient fait en Grèce et en Espagne. Pour cela, il faut couper. Mais ce n’est pas dans mon tempérament de passer en force alors je joue sur deux tableaux. En parole, je la joue normal, apaisé, protecteur. En actes, je continue la politique de l’agité, l’air de rien. Je fais du Sarko, mais sous anesthésie. Hollande : le sarkozysme à visage humain, en quelque sorte.

Sur le plan économique, j’ai ainsi réussi à faire passer sans coup férir l’augmentation de TVA que, du temps de l’agité, je fustigeais comme inégalitaire et scélérate. Tout ce que le PS compte de sycophantes, de lèche-culs (et Dieu sait que j’ai eu la raie humide, ces derniers temps), a expliqué que c’était une bonne mesure, une sorte de TVA sociale. Mais ce ne sera pas suffisant : il va me falloir mener une politique d’austérité, en évitant les manifestations de colère qui pourraient embraser le pays.

L'art de l'écran de fumée : la réforme sociétale
J'ai un peu regardé comment fait Rajoy en Espagne pour éviter les massacres, parce qu’ici en France, je ne tiendrai pas 15 jours sans des émeutes sanglantes. Il faut donc jouer en douceur.
Il a de très bonnes idées, Rajoy : le débat sur l'IVG en Espagne qui a embolisé les médias, les mesures sociétales qui permettent de diviser l'opinion publique et de monopoliser le temps d'antenne, je peux le faire !
L'écran de fumée est une première nécessité : proposer au débat public un mariage pour tous auquel je ne crois pas moi-même, sans aborder la question fiscale et du patrimoine, c' était une grande idée, même si je me suis un peu pris les pieds dans le tapis avec cette histoire de clause de conscience. Le vote des immigrés, le financement du culte musulman par l'Etat, j'en ai plein d'autres dans les tiroirs….
Et pendant ce temps là...
Une veste bien doublée
Comme toute dépense de protection sociale, les dépenses de santé nuisent à l’image du pays aux yeux des spéculateurs et des financiers. Il me faut les réduire, sans que cela se voie trop. Ça commence par conforter l’existant. Toutes les mesures médicalement ineptes et socialement dangereuses de mon prédécesseur, toutes ces mesures que, candidat, j’ai dénoncé : les franchises sur les soins, la restriction de la prise en charge des hypertendus sévères… toutes ces mesures, je les maintiens. Ce sont des mesures purement comptables, mais un sou c’est un sou.
Les franchises rapportent 850 millions d’euros par an, que l’agité est allé chercher dans la poche même des plus malades, des plus faibles. C’est toujours ça de pris, sans avoir à me salir les mains. Coup de bol, à part quelques agitateurs, personne ne se souvient qu’en 2007, Philippe Seguin à la Cour des comptes avait suggéré de taxer les stock-options à l’égal des salaires pour récupérer 3,5 milliards par an.

"Mon adversaire, c’est le monde de la finance". Je me surprends, parfois. J’arrive maintenant à le dire devant la glace sans qu’un muscle de mon visage normal ne tressaille. Des années de préparation. Il ne faut pas croire que ça a été facile.
Personne ne se souvient non plus du rapport parlementaire sur les paradis fiscaux, qui font perdre 20 à 30 milliards d'euros chaque année à la France… Cet argent, il faut bien le trouver autre part, dans la poche du contribuable, comme l'écrivait Arnaud Montebourg… Arnaud, député d'opposition en 2000, et caution gouvernementale de la gauche amnésique en 2012.
La douce et lente privatisation de la Sécu...
Mais au final, franchises, restrictions de remboursement, ça ne va pas chercher loin. Il y a une autre voie à privilégier pour améliorer les comptes publics dans le domaine de la santé : la privatiser. En douceur. C’est un énorme secteur, il y a du blé à se faire, pour les assureurs, pour les fonds d’investissement. Comme le disait François Fillon, la caution sociale de l’agité :
"Dans le cas de la santé nous ne devrions pas hésiter à considérer l’augmentation des dépenses, pour peu qu’elles soient rationalisées, comme le signe d’un progrès et comme l’un des moteurs principaux de notre économie. Le corollaire de cette attitude nouvelle est la responsabilisation des patients qui doivent prendre eux-mêmes en charge la partie des dépenses de santé qu’on appelle de confort ou qui sont générées par des comportements irrationnels dans les limites de leurs capacités contributives."
Moi j’applaudis. Ça a de la gueule. Arriver à enrober comme ça les choses, c’est le signe du talent. Parce que dit crûment, ça serait moins bien passé. Imagine…

"Il y a du pognon à se faire dans le secteur santé pour les assureurs, de plus en plus de pognon au fur et à mesure que la Sécurité sociale se désengagera. Et du moment que ce pognon n’impacte plus les comptes publics, c’est toujours ça de gagné pour moi, pour tenir mes 3% de déficit aux yeux des agences de notation."
Ça ne passerait jamais.
Ce qui a coincé, du côté de l’agité, c’était la méthode. Trop rapide, trop brutal, trop directement en lien avec le monde de l’assurance… Quand tu nommes à la direction de la vieille Sécu un ancien directeur d’AXA, quand ton ministre de la Santé (deux fois !) est un ancien assureur d’AXA, quand ton frère est directeur chez Médéric… comment veux-tu que ça ne se voie pas au moins un peu ?
À mi-parcours, l’agité a eu une idée de génie : il est venu faire un discours d’intention dans lequel il expliquait clairement son idée de passer la Santé aux assureurs… mais il l’a fait au Congrès de la Mutualité Française, devant son président d’alors, Jean-Pierre Davant. Il était ravi, le Jean-Pierre, un mitterrandolâtre qui se faisait conseiller en privé par les plus libéraux des médecins, dont le seul et unique médecin défenseur des franchises en France, le professeur Guy Vallancien, de l’Institut Mutualiste Montsouris. Mutuelles, mutualiste, j’adore ces mots-valise de la gauche.
C’est là que j’ai eu le déclic. Les mutuelles. Le grand rêve solidaire des petites gens, la geste ouvrière des presque-rien qui ont monté des structures leur permettant d’assurer la protection sociale des malades, des handicapés. Un rêve de solidarité, d’humanisme basique. Le genre de truc gravement porteur dans l’imaginaire collectif, de ceux qui croient encore (il paraît qu’il en reste), au collectif. Les mutuelles. C’était ça mon angle d’attaque.

J’ai commencé à promettre. Une mutuelle pour tous en 2014. Derrière moi, la clique de lèche-culs applaudissait : cet homme est grand, cet homme est bon, cet homme est normal. Et qui, dans la foule, aurait osé se lever pour dire : "Mais il existe beaucoup mieux qu’une mutuelle pour tous en 2014. Il existe une Sécurité sociale solidaire, depuis 1945 ! C’est elle qu’il faut conforter, et pas faire l’inverse !" ?

"Mon adversaire, c’est le monde de la finance". Comme dit l’autre, qu’est-ce que ce serait si on était copains ?

Christian Lehmann est médecin généraliste et écrivain, auteur de "Les Fossoyeurs" (Michel Lafon).

Yvon Le Flohic est médecin généraliste, élu MG France aux Unions Régionales des Professionnels de Santé de Bretagne

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