vendredi 6 septembre 2013

La canicule, dix ans après Par Patrick Pelloux

Comme l’été se termine et que je fête mes dix ans de mariage avec le soleil dans le cadre de son activité caniculaire, je me devais de vous écrire ce qui à mon sens a changé après cette période.

Allô, Pelloux?Ce qui frappe après ces dix ans, c’est la pauvreté intellectuelle et politique de l’analyse sur les nécessaires évolutions médico-psycho-sociales de la civilisation française et, surtout, européenne. La canicule a tué 20000 personnes en France, et entre 70000 et 80000 en Europe. Le soleil tue et le réchauffement climatique est là. Le politique est responsable! Même s’il ne fait pas la pluie ni le beau temps, il dirige le pays et, donc, les crises. En 2003, le gouvernement et la technostructure se sont discrédités, car ils ont été dans le mensonge et la contemplation d’une catastrophe.

Un bel exemple: tous les responsables de santé publique ont continué de belles carrières, comme si aucune faute n’avait été commise. Le Pr Mattei, alors ministre de la Santé, fut nommé à la tête de l’École nationale de santé publique, puis a dirigé la Croix-Rouge française jusqu’en juin dernier. Les membres de son cabinet ont eu de belles promotions, comme le Dr Cédric Grouchka, qui s’était copieusement trompé, mais a continué dans tous les ministères avant de devenir un des responsables de la Haute Autorité de santé (HAS), organisme chargé de la qualité de la santé en France. Ou encore le Pr Abenhaïm, responsable en 2003 de la direction générale de la santé, qui a démissionné mais a poursuivi sa carrière en tant qu’expert en épidémiologie et catastrophes à l’OMS. Etc.

Chirac, alors président de la République, rentra d’on ne sait où et fit un discours bâclé et confus où il annonça un «plan urgences» totalement irréaliste et qui n’avait d’urgent que l’intitulé. Dix ans après: échec total. D’abord, aucune faute n’avait été commise par la médecine libérale, puisque c’était bien Mattei qui avait supprimé l’obligation de participer aux gardes de ville en 2002. Ensuite, en dix ans, toute la logique politique visant à faire de la santé une marchandise a été mise en place, car il ne fallait surtout pas arrêter le plan Hôpital 2007, dit «hôpital entreprise».

LE LUNDI AU SOLEIL…

Rien n’a changé dans la politique hospitalière, malgré le manque criant de moyens pour les hôpitaux publics. Le problème de l’aval des urgences est devenu chronique, méprisant pour les malades, calomnieux pour les personnels des urgences. Le plan «urgences» Chirac, ce furent 489 millions d’euros qui ont fondu comme neige au soleil de 2004 à 2007, pour ne rien changer. Aucune création d’emplois, et les prétendues créations de lits de soins de suite et de rééducation n’ont pas compensé les fermetures. Pire: la gabegie de l’informatique dans les hôpitaux, un véritable scandale où des millions d’euros ont été balancés dans des systèmes incompatibles les uns avec les autres, des grands machins dont les licences sont des rentes en or pour des multinationales d’informatique, des ordinateurs partout et le regard des soignants qui a quitté celui des malades pour tenter de faire fonctionner des appareils déjà obsolètes dès leur installation…

De toute façon, il ne fallait pas que la canicule détruise ce mensonge politique racoleur voulu par la droite néolibérale: «les hôpitaux ne fonctionnent pas à cause des 35 heures» ou encore «c’est à cause des 35 heures qu’il y a eu
la canicule». Mensonge! Les 35 heures n’ont jamais pu être effectives parce que les 48000 emplois qui auraient dû être créés en 2002 ont été annulés dès l’arrivée de Mattei. Pire: la loi «Hôpital, patients, santé et territoires» (HPST), nventée par Bachelot et voulue par Sarkozy, fut la suite de l’hôpital entreprise de Chirac. Bachelot avait lancé la tarification à l’activité, arme de destruction massive des hôpitaux grâce à deux éléments: la concurrence entre les hôpitaux et entre les médecins et la règle du déficit zéro.

Les leçons politiques de la canicule ont été nulles, et le peuple méprisé. En dix ans, le pays ne sait toujours pas se préparer en cas de grande calamité et les hôpitaux manquent de moyens. Ou alors on crée des scandales à près d’un milliard d’euros, comme avec les vaccins Bachelot pour éviter une épidémie qui n’a pas existé. Mais il fallait faire peur: bonne vieille recette pour diriger un pays. Il y a aussi un élément stratégique important: pour un grand nombre de professeurs, les drames d’un pays seraient dus aux épidémies ou aux médicaments. Mais il y a aussi les calamités écologiques: c’est pour cela que j’ai été fier d’être un lanceur d’alerte. Il ne faudrait pas dire la canicule, mais les canicules, tellement
elles peuvent prendre des formes différentes. Celle de 2006 a été longue et moins forte qu’en 2003, mais a fait environ 7000 morts.

Mamie et la canicule, par Charb

Soulignons les mobilisations des collectivités territoriales pour lutter contre l’isolement des plus âgés. Mais le retard considérable de la mobilisation en cas de chaleur du monde du travail n’empêche pas les ouvriers de cuire dans le béton ou
sur les routes aux heures les plus chaudes. L’Europe aurait dû lancer des normes rigoureuses d’isolement des habitats, protéger les travailleurs, renforcer la lutte contre le réchauffement… À côté de ça, le « tout-climatiseur » est arrivé, grand consommateur d’énergie (mais aussi grand porteur de germes, car ces appareils sont rarement entretenus), et donc favorisant le réchauffement climatique.

Le plan canicule de Marisol Touraine, par CharbSur le terrain de la santé, alors qu’il fallait créer des postes de médecins, d’infirmières, de soignants, du lien entre la ville et l’hôpital, ce fut une pluie d’orage technocratique qui s’est abattue sur le système pour le noyer dans des agences de santé, des observatoires, des instituts de surveillance, des doublons ministériels pour contempler des courbes et, surtout, valider la casse des hôpitaux publics. Le philosophe Ivan Illich, dans Libérer l’avenir (1971) et La Convivialité
(1973), l’écrivait avec précision : l’empilement des appareils et technostructures engendre inexorablement les défaillances du système lui-même. Le drame des hôpitaux publics et du système de santé en est un bon exemple. …

LE DIMANCHE AU CIMETIÈRE

Tous les rapports sur la canicule de 2003 sont restés dans les placards, dont celui de Claude Évin, qui fut très aimable avec le gouvernement. C’était quatre ans avant sa nomination par Sarkozy à la tête de l’agence régionale de santé d’Île-de-France. En dix ans, les urgences ont débordé, de 13 millions de passages en 2003 à 17 millions en 2012. Avec des moyens de plus en plus faibles et des fermetures de lits permanentes.

Mais, surtout, la canicule a failli enterrer, avec ses victimes, la Sécurité sociale et la solidarité. En juillet 2011, Sarkozy et Bachelot ont lancé l’idée d’une assurance privée obligatoire passé la cinquantaine pour payer la dépendance, tuant ainsi la Sécurité sociale. La canicule a révélé à la France son vieillissement, un choc de civilisation où toute la morale, les habitudes familiales sont bousculées. Elle devenait donc un argument choc pour faire peur et casser le modèle social français. En dix ans, les politiques n’ont pas compris qu’il faut changer de société. Pour que tout le monde ait une place au soleil et pas seulement au cimetière.


Par : Patrick Pelloux Facebook Twitter Mail

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