mercredi 29 juin 2016

ANALYSE DU DISCOURS DE J.F. KENNEDY DU 26 JUIN 1963 « ICH BIN EIN BERLINER »

Discours prononcé sur la place de l’hôtel de ville à Berlin, 26 juin 1963. « Ich bin ein Berliner » : « je suis un Berlinois »  C'était l'anniversaire de ce discours tout à fait d'actualité après le Brexit

Document « Je suis fier d’être venu dans votre ville (…). Je suis fier d’avoir visité la République fédérale d’Allemagne avec le chancelier Adenauer, qui durant de si longues années a construit la démocratie et la liberté en Allemagne. Il ne manque pas de personnes au monde qui ne veulent pas comprendre ou qui prétendent ne pas vouloir comprendre quel est le litige entre le communisme et le monde libre. Qu’elles viennent donc à Berlin. D’autres prétendent que le communisme est l’arme de l’avenir. Qu’ils viennent aussi à Berlin. Certains, enfin, en Europe et ailleurs, prétendent qu’on peut travailler avec les communistes. Qu’ils viennent donc ceux-là aussi à Berlin. Notre liberté éprouve certes beaucoup de difficultés et notre démocratie n’est pas parfaite. Cependant, nous n’avons jamais eu besoin, nous, d’ériger un mur pour empêcher notre peuple de s’enfuir. Je ne connais aucune ville qui ait connu dix-huit ans de régime d’occupation et qui soit restée aussi vitale et forte et qui vive avec l’espoir et la détermination qui est celle de Berlin-Ouest. Le mur fournit la démonstration éclatante de la faillite du système communiste. Cette faillite est visible aux yeux du monde entier. Nous n’éprouvons aucune satisfaction en voyant ce mur car il constitue à nos yeux une offense non seulement à l’histoire mais encore une offense à l’humanité. La population de Berlin-Ouest peut être certaine qu’elle a tenu bon pour la bonne cause sur le front de la liberté pendant une vingtaine d’années. Tous les hommes libres, où qu’ils vivent, sont citoyens de cette ville de Berlin-Ouest, et pour cette raison, en ma qualité d’homme libre, je dis « Ich bin ein Berliner » » J.F.Kennedy,


Ce discours fut prononcé par le président démocrate des Etats-Unis John Fitzgerald Kennedy, élu en 1960. En effet, le 26 juin 1963, depuis l’Hôtel de Ville de Berlin Ouest, il adresse aux Berlinois de l’Ouest un message de solidarité. Ceux-ci sont alors séparés des quartiers de l’Est par le mur construit en août 1961 par les Autorités Est-allemandes avec l’accord de L’URSS. Les Berlinois de l’Ouest vivaient alors enclavés dans les territoires communistes de la RDA et craignaient une possible occupation de la part de la RDA. Mais ce message est également destiné aux mouvements de contestation qui commencent à émerger dans les années 1960 dans le camp occidental et particulièrement aux EUA. Certains de ces mouvements estudiantins sont effectivement séduits par l’idéologie communiste et Kennedy s’adresse à eux pour leur montrer que le monde communiste est celui de la négation de la liberté et de la démocratie. Depuis 1947, un conflit oppose les EUA et l’URSS, la Guerre Froide, caractérisé à la fois par une rivalité idéologique et par l’absence d’affrontement direct entre les deux Grands. Ce conflit fut parfois ravivé par des crises. Ce fut le cas en 1962 lors de la crise des missiles de Cuba au cours de laquelle, le monde frôla la guerre nucléaire après que les EUA aient découvert des missiles nucléaires soviétiques sur l’Ile des Caraïbes. Cette crise obligea les EUA et l’URSS à entreprendre un processus de détente de leurs relations et à mettre en place une relation directe entre eux afin de désamorcer d‘éventuels futurs conflits. [L’ALLEMAGNE ET BERLIN AU CŒUR DE LA GUERRE FROIDE] Bien que ce discours intervienne dans un contexte de détente des relations Est-Ouest, l’Allemagne et surtout Berlin, demeurent au cœur du conflit entre les EUA et l’URSS. Ce fut le cas au début de la Guerre Froide lorsqu’en 1948-1949 Berlin fut soumise à un blocus soviétique destiné à étouffer la ville et à la faire passer dans le camp soviétique. Le pont aérien mis en place par les EUA pendant un an mit un point final à cette crise. Berlin se retrouve de nouveau au cœur des enjeux de la Guerre Froide lorsqu’en août 1961 un mur encerclant Berlin Ouest met fin à l’émigration d’Allemands de l’Est fuyant vers l’Ouest. L’enjeu n’est plus comme en 1948 de s’accaparer la ville que les deux Grands se sont déjà partagée, mais il est de nature idéologique : Berlin-Est est devenue le symbole de la liberté bafouée par le communisme. C’est dans ce contexte que Kennedy prononce son discours. Soucieux de respecter les règles de la Guerre Froide qui consistent à éviter tout conflit ouvert, mais dans une volonté de marquer sa différence il place son discours dans le champ de la guerre idéologique. [UN DISCOURS REVELATEUR DES ENJEUX DE LA GUERRE FROIDE] En effet, avec ce discours de Kennedy, on est passé d’un enjeu stratégique (dominer certaines parties du monde) à un enjeu purement idéologique à un moment ou le camp occidental est marqué par des fractures et des divisions idéologiques. Ainsi, ce discours est l’occasion pour Kennedy de montrer la supériorité du camp occidental sur le camp soviétique. Lorsqu’il parle de « litige entre le communisme et le monde libre », il présente la Guerre Froide comme un conflit entre la dictature communiste et la démocratie. Le mur est ici la preuve de la faillite idéologique du communisme obligé d’enfermer ses citoyens pour les empêcher de fuir. Il s’adresse ici aussi aux personnes qui, dans le camp occidental sont séduites par le modèle de la société communiste. Les attraits du modèle soviétique évoqués par Kennedy lorsqu’il parle de ceux qui « prétendent que le communisme est l’arme de l’avenir » repose sur le rêve d’une société égalitaire à la mode dans les années 1960 sur les campus nord-américains. En outre, dans le contexte de la décolonisation, le modèle communiste séduit aussi les Etats nouvellement indépendants. Néanmoins, en 1962, même l’enjeu idéologique est infléchi par le contexte de Détente, lui-même rendu nécessaire par les mouvements de contestation dont les EUA et l’URSS sont victimes chacun dans son propre camp. C’est pourquoi, Kennedy nuance ses propos en reconnaissant que les EUA sont une «démocratie imparfaite », faisant ici référence aux inégalités sociales qui divisent son pays et à la question des droits civiques des afroaméricains qui n’est toujours pas réglée.