samedi 10 mai 2008

Mai 68 au musée

J’ai une chance folle : en 68, j’avais quinze ans.

Quinze ans, c’est trop jeune pour participer vraiment, mais c’est trop grand pour rester innocent.

C’est l’âge où l’on ressent, c’est l’âge où l’on comprend.

L’âge où l’on comprend que le monde n’est pas juste, que la vie est dure, que le mépris ça fait mal, que le pays des Schtroumpfs ou de Candy ce n’était pas vrai.

L’âge où plus et plus fort qu’à tout autre on prend en pleine figure les sensations, les rêves, les émotions. Pensez à vos premiers émois amoureux… à vos révoltes aussi… devant le malheur, l’injustice, tout un monde à réinventer, et ces adultes qui ne comprennent rien…..

Quinze ans c’est aussi l’âge des images qui marquent : images d’amphis transformés en dortoirs, de pique-niques dans les ateliers d’usine, d’insurrections joyeuses, de sinistres casques noirs qui brillent dans la fumée des lacrymogènes.

Des images, en voilà. Regardons-les bien, elles vous racontent quelque chose de notre histoire. Elles racontent les nuits fiévreuses de l’Ecole des Beaux-Arts, de la Sorbonne, des chaînes de montage immobilisées.

Les auteurs de ces affiches n’avaient probablement pas la prétention de réaliser une œuvre d’art, et si un CRS leur avait dit qu’un jour elles seraient accrochées dans des musées, ils auraient sans doute bien ri. Ils n’imaginaient sans doute même pas qu’elles vivraient au-delà de quelques jours, et pourtant… et pourtant elles sont là.

Un moment, mai 68 un lieu, Paris et pourtant le regard de Daniel Cohn-Bendit au CRS n’est il pas le même que cette étudiante à Chicago défiant les troupes fédérales et brandissant un slogan contre la guerre du Vietnam ? Ce syndicaliste haranguant les ouvriers à Sud-aviation n’a-t-il pas la même allure que Martin Luther King à Memphis en avril de la même année ? ou encore la colère de cette étudiante au quartier latin n’est elle pas la même que cette jeune femme pendant le printemps de Prague devant les chars soviétiques ?

Aujourd’hui, on parle beaucoup de communication, mais je me demande si on sait vraiment communiquer. Je me demande si à force de vouloir « en rajouter » on ne tue pas l’échange, finalement. Encore une fois, regardons-les bien, ces affiches ; avec très peu, elles disent l’essentiel. Elles parlent fort, parce qu’elles sont économes de leur voix ; elles disent tout, parce qu’elles n’ont que très peu ; elles ont la nudité de l’idée qui fuse, elles sont la nudité.
L’héritage de 68, c’est peut-être là qu’il est : avec presque rien, on peut faire beaucoup, si on y croit. Avec une poignée d’ « enragés » on peut faire un événement historique, et avec trois pots d’encre et un peu de papier on peut aller au musée. Ceux qui veulent le liquider, cet héritage, devraient y réfléchir : non seulement on imagine mal le Général de Gaulle affichant une vie amoureuse aussi délibérément « sans entraves » que cela se pratique aujourd’hui, mais de plus, ça peut être drôlement important de faire beaucoup avec presque rien, en ces temps difficiles…

Il en est d’autres, de ces « affiches », qui ont malheureusement disparu parce qu’elle n’ont pas été imprimées en grand nombre mais simplement écrites sur un mur, dans l’ivresse de l’action ; on se souvient de quelques-unes, les plus célèbres, « sous les pavés la plage » ou « défense d’interdire »… Cette exposition, aujourd’hui, dans sa spontanéité, dans sa verdeur, dans sa sincérité, en évoque une autre, gravée par une main anonyme dans un couloir de la vieille Sorbonne :

« La jeunesse n’est pas une période de la vie, c’est un état d’esprit. »
Allez, « soyez réalistes, demandez l’impossible »

Aucun commentaire: