mercredi 4 juillet 2012

Enrôler les petits patrons au service des grands

Et la droite américaine a détourné la colère populaire
(Thomas Frank, janvier 2012, monde-diplomatique.fr)

[...] « Laissons les ratés faire faillite », clame le Tea Party. Ce slogan, qui s’affiche lors des rassemblements républicains, constitue la clé du succès de la droite. Des banques au voisin de Santelli qui dilapide son argent, que tout le monde fasse faillite ! Dans un chapitre du « Manifeste du Tea Party », MM. Richard Armey et Matthew Kibbe écrivent : « Nombre d’entre nous savions instinctivement que le plan de sauvetage était une mauvaise chose. Pour que le capitalisme fonctionne, nous comprenions qu’il fallait être capable d’engranger les profits de ses prises de risques, mais aussi d’accepter la possibilité de perdre sa mise. Nous avons tous un voisin, nous avons tous entendu parler de quelqu’un qui vit au-dessus de ses moyens, pendant trop longtemps. Et nous nous demandons pourquoi nous sommes obligés de payer pour lui. » Ce sont ces « assistés »-là qui doivent faire faillite [...]

aux Etats-Unis, le petit entrepreneur est traditionnellement drapé des vertus de l’héroïsme. Comme le fermier avant lui, il est perçu comme sacré ; il est l’individualisme incarné, le courageux combattant qui permet depuis toujours à l’économie américaine de prospérer. [...]

La renaissance conservatrice de ces dernières années a été rendue possible par l’hostilité historique des petits entrepreneurs envers les banques, ces institutions « trop grosses pour faire faillite » qui aspirent l’argent des contribuables. Mais cette hostilité ne se traduit pas par une demande de régulation. Au contraire : « La plupart des membres du Tea Party que j’ai rencontrés sont de petits commerçants, raconte le journaliste Matt Taibbi. Ils tiennent des magasins de matériel informatique ou des restaurants. Ils assimilent la régulation à un inspecteur de l’hygiène qui viendrait les déranger et leur infligerait des amendes pour des broutilles. Voilà leur expérience de la régulation. Donc, quand ils pensent à JPMorgan Chase, à Goldman Sachs, à l’idée de réguler ces banques, pour eux, c’est la même chose. » Et le Parti républicain encourage la confusion entre ces deux types de pratique.

Le petit entrepreneur incarne le visage du conservatisme parce que son acrimonie contre les multinationales et leurs relais politiques épouse l’air du temps. Cela n’empêche pas les élus républicains d’accorder toujours leurs faveurs aux mêmes, en s’opposant au relèvement des impôts des plus riches ou en réclamant qu’on taille dans les services sociaux. Dès les années 1950, le sociologue Charles Wright Mills observait que le « fétichisme du petit entrepreneur américain » ne provenait pas de ses succès économiques, mais plutôt de l’« utilité de son image pour les intérêts politiques des patrons plus puissants ». Le petit entrepreneur « est devenu l’homme qui rend l’utopie capitaliste séduisante ».

Les droits de succession doivent donc être supprimés, non pas parce qu’ils déplaisent aux riches, mais parce qu’ils menacent les familles d’agriculteurs ; il faut conserver les réductions d’impôts décidées par M. Bush, car les petites entreprises couleraient sans elles ; la déréglementation des banques avait pour but d’aider les petits commerçants à obtenir des crédits ; l’Accord de libre échange nord-américain (Alena) constitua avant tout une aubaine pour les petites start-up... Un jour, sans doute, on conclura de tout cela qu’il n’y a pas de différence entre les intérêts des banquiers et ceux de M. Tout-le-Monde.

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