mercredi 4 août 2010

Oser réformer le système

Un débat sur le thème « Le système financier international : qui osera le réformer et comment ? » a été organisé le 28 juin 2010 par le CRREA et Marianne, et animé par Jean-François KAHN (président du CRREA).

Les participants :
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Paul JORION (anthropologue, sociologue)
- Frédéric LORDON (directeur de recherche au CNRS et chercheur au Centre de sociologie européenne)
- Liêm HOANG-NGOC (économiste, député européen, adhérent PS)
- Stéphane COSSET (économiste, adhérent Modem)
- Hervé NATHAN (rédacteur en chef du service Economie à Marianne).

La 1ère partie est visible ci-dessous, et les cinq suivantes sont à voir sur le blog de Paul Jorion.



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La dette publique, ou la reconquista des possédants
(26 mai 2010, Frédéric Lordon, blog.mondediplo.net)

Ainsi, il y a un « problème de dette publique ». Mais au fait, d’où vient-il ?

[...] ce doucereux langage pour débiles légers dont le discours politique-pédagogique s’est fait une spécialité, en l’espèce, s’agissant de déficits, à base de métaphores simples et accessibles à tous, empruntées à l’économie domestique. Car il est bien certain que tous peuvent comprendre, expérience récurrente des fins de mois difficiles à l’appui, qu’on ne saurait « vivre au dessus de ses moyens », pas plus la France que le voisin de palier.

[...] la défiscalisation systématique est l’indice d’un compromis historique que le groupe des possédants – dut le mot paraître suranné, on ne voit pas comment dire autrement – a réussi à passer avec l’État à partir des années 80, en remplacement du compromis social fordien qui avait prévalu pendant les trente années précédentes. [...] la déréglementation générale [...] sur le mode maintenant bien connu du chantage au départ. « Défiscalisez-moi ou je m’en vais »

[...] De la baisse de l’impôt sur les sociétés, ramené de 50 % à 33 % par le socialisme moderne (et, bien sûr, sans le moindre effet tangible autre que d’opportunité, sur l’investissement) aux larges défiscalisations des revenus du capital, en passant par les baisses massives et continues des cotisations sociales au nom tantôt de la baisse-du-coût-du-travail-pour-résorber-le-chômage (avec également la belle efficacité qu’on sait), tantôt au nom de l’« attractivité du territoire », jusqu’aux dernières diminutions des taux marginaux de l’impôt sur le revenu, « bouclier fiscal » inclus, et pour ne rien dire du maquis des exemptions en tout genre permettant aux plus riches de ne payer que des clopinettes au fisc, la colonne « recettes » du budget de l’État offre une cohérence d’orientation [à la baisse]

[...] ramener les pauvres à leur solitude (« leur responsabilité individuelle ») en démantelant du même mouvement les régulations de l’État-providence (puis de l’État tout court). La stratégie déployée pour parvenir à ce double objectif s’est même donné un slogan : starving the beast ! – affamer la bête ! La « bête » bien sûr, c’est l’État [...]

en France [...] La « baisse des prélèvements obligatoires » est devenue une sorte de vérité d’évidence [...] une discrète mesure exonérant les entreprises de toute taxation sur les plus-values de long terme réalisées sur la cession de leurs diverses participations. Tarif : 20 milliards d’euros … soit un peu plus d’un point de PIB ! [...] les Projets de loi de finance (PLF) de 2009 et 2010 manquent à mentionner des « dépenses (fiscales) occultées » (antérieures à 2006) dont le total est de… 145 milliards d’euros – 7,5 points de PIB [...] le montant cumulé des défiscalisations est considérable et c’est peut-être bien de ce côté qu’il faudrait regarder pour réduire le déficit structurel (qui rentre presque intégralement dans cette enveloppe) [...]

du côté des dépenses « ça » a résisté plus que prévu
[...] Décembre 1995, mai 2003, et aussi, même à titre incident, le TCE 2005, le CPE 2006 : ces mouvements sociaux, certains victorieux, d’autres non, ont tous manifesté un catégorique refus. Le démantèlement progresse donc mais au ralenti, en ayant à vaincre de fortes oppositions, et en tout cas moins vite qu’il ne faudrait pour compenser les défiscalisations libérales. [...]

le déficit ne sera réduit que par annulation des défiscalisations ou par une régression inouïe de l’État social [...] On connaît donc déjà la fin de l’histoire et le sens de l’arbitrage que rendront les « finances publiques », cette impersonnalisation de gouvernements devenus depuis trois décennies les ingénieurs de la restauration à l’usage des possédants.

Mais la fin de cette histoire pourrait être le début d’une autre.
Les Grecs qui descendent dans la rue constituent la première vague d’un affrontement profondément international, en tout cas au moins européen, contre la déflation sociale. [...]

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