samedi 30 juin 2012

La troisième économie

Le modèle "collaboratif" va détruire des emplois
(19/06/2012, Dominique Turcq, lecercle.lesechos.fr)

[...] La collaboration est désormais la nouvelle norme de nos sociétés et de nos entreprises. Le processus est en cours d’affinement, mais il est amené à se poursuivre. De plus en plus de gens en perçoivent les bénéfices évidents : il est tout simplement plus facile de collaborer et de coopérer – souvent de façon virtuelle – que d’être enfermé dans des systèmes et hiérarchies. Collaboration, intelligence collective et les concepts qui y sont liés, aident à gagner du temps, à mieux résoudre les problèmes, à raccourcir l’accès à des experts ou à des solutions.

En bref, cela nous permet d’obtenir de réels gains de productivité [...] 

Les activités reposant sur l’arbitrage des imperfections du marché vont se réduire. En effet, beaucoup de professions qui trouvaient leur justification en palliant les imperfections de l’information disponible sur le marché disparaissent lorsque celle-ci devient facilement accessible et fiable [...]

Une partie des postes de cadres moyens vont disparaître. Parmi les activités des cadres moyens, celles qui consistaient à être des courroies de transmission pour aider les individus et les équipes à entrer en relation ou à se connecter à des connaissances ou des outils [...] vont disparaître avec le développement d’une culture collaborative, des annuaires "intelligents", des réseaux sociaux internes et externes [...]

Des emplois rémunérés seront remplacés par des travaux d’amateur disponibles gratuitement ou par des emplois faiblement rémunérés. Certains emplois dont la rémunération était justifiée par une valeur ajoutée difficile d’accès commencent à être remplacés par des services internet qui apportent "apparemment" une valeur similaire [...]

En d’autres termes, une troisième économie est née, non pas souterraine et invisible, mais partout où des emplois peuvent disparaître en raison de l’explosion des usages liés aux technologies collaboratives.

[...] Brian Arthur, l’auteur de l’article de McKinsey sur la "seconde économie", écrit : "Je soutiens qu’il se passe quelque chose de fondamental avec l’avènement de la technologie de l’information, quelque chose qui va bien au-delà de l’utilisation des ordinateurs, des médias sociaux et du e-commerce. Des relations qui passaient autrefois par des transactions "humaines" sont maintenant traitées électroniquement. Elles se déroulent dans un environnement invisible, strictement digital. En apparence, ce mouvement ne semble pas porter à conséquence – c’est presque quelque chose que nous tenons pour acquis […] il cause une révolution qui n’est ni moins importante, ni moins spectaculaire que l’arrivée des chemins de fer. Ce mouvement n’a aucune limite supérieure, pas de stade final […] il serait facile de sous-estimer à quel degré ceci va modifier les choses"

En bref, l’approche de la seconde économie soutient que les gains de productivité [...] et l’intégration de plusieurs technologies numériques ont entrainé la disparition d’emplois au profit d’une économie comme en second plan, souterraine, entièrement automatisée. La troisième économie aura les mêmes effets sauf que la force de déplacement des emplois est les hommes eux-mêmes et non des systèmes automatisés.

Les gains de productivité économique et sociale réalisés ne sont pas un facteur négatif, bien au contraire. La plupart des progrès économiques sont le résultat de gains de productivité puisque celle-ci permet de "libérer" des ressources pour des usages plus productifs. Ce précepte économique fondamental soulève cependant une interrogation importante quant à son hypothèse de base : que se passe-t-il s’il n’y a pas de tâches auxquelles allouer ces ressources disponibles ? Le chômage s’accroît. Selon les travaux mentionnés ci-dessus, nous sommes rentrés dans une ère où les destructions d’emplois pourraient bien être durablement supérieures aux créations.

"La seconde économie", par les technologies digitales, et "la troisième économie", par les technologies sociales de collaboration, peuvent potentiellement augmenter le chômage si la destruction des emplois est supérieure à la capacité de création d’emplois de notre écosystème.

[...] L’avènement d’une culture collaborative est une bonne nouvelle pour la productivité, mais elle peut être une mauvaise nouvelle notamment pour les cadres moyens à deux titres : premièrement, leurs effectifs peuvent décroître en proportion des tâches disparues, deuxièmement, ils doivent monter en compétence pour aider les autres à collaborer et à se développer grâce notamment… à la collaboration. Beaucoup de cadres moyens ne sont tout simplement pas prêts.

[...] Les opportunités sont au moins de deux ordres. Premièrement, les progrès combinés des économies seconde et troisième créeront des possibilités d’innovation et des nouvelles zones de croissance. Deuxièmement, sur un plan philosophique, ces deux nouveaux pans de l’économie pourraient nous aider à comprendre que la technologie est là pour nous aider à ce que plus de personnes travaillent et que chacun travaille moins (quitte à gagner moins), à libérer notre créativité et à profiter de la vie et de nos familles. Évidemment, d’un point de vue politique, la question de la répartition du travail et des revenus se pose, mais c’est un autre débat.

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