dimanche 10 juillet 2011

La démondialisation (suite), la productivité et la croissance

Pour éviter le krach ultime, de Pierre Larrouturou, préface de Stéphane Hessel (Nova Editions, 255 pages, 15 euros) 

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Pierre Larrouturou : "Oublions la croissance"
(10/07/2011, lesinrocks.com, recueilli par Jean-Marie Durand & Serge Kaganski)

Il n’existe qu’un moyen pour sortir de la crise mondiale : la justice sociale. C’est la thèse de l’économiste Pierre Larrouturou.

La crise reste une menace au-dessus de nos vies : la crise sociale surtout, et dans le monde entier. Aux Etats-Unis, les 600 milliards de dollars récemment injectés ne suffisent pas à relancer l'économie ; en Chine, la bulle immobilière enfle toujours plus. 

Dans un essai percutant, Pour éviter le krach ultime, Pierre Larrouturou, conseiller régional Europe-Ecologie-Les Verts d'Ile-de-France et pilote des états généraux pour l'emploi organisés par le mouvement écologique, met à plat le système économique pour en dénoncer les vices. Il lance ici des pistes de réflexion pour éviter l'effondrement ultime et affirme que la seule issue possible est de remettre la justice sociale au coeur de l'économie.

« [...] Trois ans après, on n'a rien repensé et on risque de connaître une crise encore plus grave si on ne change pas de politique en profondeur. On arrive au bout du système de la dette. Toujours plus de dette pour toujours moins de croissance [...]

[...] Les Etats-Unis et la Chine sont censés être les moteurs de l'économie mondiale. Or les Etats-Unis ne parviennent pas à faire remonter leur croissance malgré les centaines de milliards injectés artificiellement : 90% des bons émis par le Trésor américain sont achetés par la FED américaine ou d'autres banques centrales. Seuls 10% sont encore achetés par le privé ! Les rats quittent le navire. 

En Chine, les inégalités sociales restent énormes et la bulle immobilière chinoise commence à se fissurer. Elle a atteint le double de celle des Etats-Unis à son plus haut ! En avril, pour la première fois depuis vingt ans, les prix de l'immobilier ont plongé : la Chine commence à se rendre compte qu'elle a construit beaucoup trop d'immeubles. On a vu ce que l'éclatement de la bulle immobilière a donné en Espagne : le chômage a triplé. Mais en Chine, il y a déjà 20% de chômage. On peut imaginer les conséquences d'un éclatement de la bulle dans un pays où les filets sociaux n'existent pas.

[...] La crise est financière mais avant tout sociale. Depuis Reagan, on a dérégulé, on a fait pencher le balancier vers les actionnaires au détriment des salariés, ceux-ci compensant par l'emprunt. Du coup, depuis quarante ans et dans tous les pays occidentaux, la croissance se fait avec de la dette. Il s'agit donc bien d'une crise sociale. L'erreur dramatique, c'est de prétendre que la justice sociale est un luxe auquel il faut renoncer à cause de la crise. C'est tout le contraire ! Le seul moyen de sortir de la crise, c'est de reconstruire la justice sociale.
 
[...] Obama est entouré par d'anciens de la banque Goldman Sachs. J'aurais aimé qu'il agisse comme Franklin Roosevelt qui, trois mois après son élection en 1932, avait séparé les banques de dépôts et les banques d'affaires, interdisant à ces dernières de spéculer avec l'argent des contribuables. Ainsi, seules les banques d'affaires se retrouvaient exposées aux risques qu'elles prenaient. Roosevelt a aussi élevé le taux d'imposition des hauts revenus à 80%. Ça a gueulé, certes, mais le capitalisme et les Etats-Unis ne se sont pas effondrés. Cela a marché pendant quarante ans, jusqu'à ce que Reagan fiche tout en l'air.

La France connaît un déficit de 7% du PIB. Si on annulait toutes les baisses d'impôt décidées par la droite et la gauche depuis dix ans, si on en revenait aux barèmes de 2000, qui n'avaient rien de confiscatoires, on aurait 100 milliards d'euros de plus chaque année dans les caisses, soit un déficit de 2% du PIB.

Sarkozy a passé trois heures au dernier G20. A Bretton Woods (accords de 1944 sur le nouveau système financier international de l'après-guerre - ndlr), ils avaient bossé pendant trois semaines. Au lieu de bercer le peuple avant de passer en mode panique quand ça pétera, les chefs d'Etat devraient faire la même chose que Roosevelt à la conférence de Philadelphie (accords de 1944 sur l'organisation international du travail - ndlr) : dire qu'il n'y aura pas de paix mondiale sans justice sociale et définir les mesures à prendre dans chaque pays au sujet des salaires, du temps de travail, des conditions d'emploi, du salaire minimum, du partage équitable entre dividendes et salaires, etc. Avant de parler de concurrence ou de monnaie, il vaut mieux s'occuper de la coopération et de la justice sociale. Il faut en finir avec les inégalités qui se creusent de plus en plus. Humainement, c'est scandaleux. Economiquement, c'est aberrant.

Le super riche ne peut pas dépenser tout son argent. Une partie est stérilisée ou passe dans la bulle financière, elle-même déconnectée de l'économie réelle. Cet argent ne va pas aux salariés, ni à l'effort de recherche, ni à l'investissement, ni aux services publics mais à la spéculation financière qui engraisse les revenus d'un tout petit nombre de gens. S'il revenait dans l'économie réelle, ça ferait baisser le chômage et augmenter les salaires. Le chômage pèse sur tout le monde, les gens ont peur de perdre leur emploi, les patrons utilisent cette peur et les salaires n'augmentent plus.

Dans mon livre, je montre tous les leviers pour que ça change, pour créer deux millions d'emplois : politique du logement, des énergies renouvelables (350 000 emplois créés en Allemagne), interdiction de spéculation pour les banques de dépôts qui du coup vont se tourner vers les PME, politique sur l'économie sociale et solidaire, politique sur le temps de travail, etc. Créer deux millions d'emplois, c'est utile pour ceux qui retrouvent un salaire mais aussi pour les autres, qui vont pouvoir négocier leurs salaires à la hausse.

[...] Le PS et l'UMP tablent sur 2,5% de croissance mais ça fait trente ans qu'on n'obtient plus ce chiffre-là ! A l'ENA ou dans les écoles de commerce, on enseigne toujours que plus la croissance augmente, plus le chômage baisse. C'était vrai il y a quarante ans mais plus maintenant en raison des gains de productivité colossaux.

J'ajoute que pour des raisons énergétiques et environnementales, l'hypothétique retour de la croissance ne serait pas souhaitable. Oublions la croissance et développons-nous autrement. Par exemple en favorisant l'habitat écologique : ça créera des emplois et ça permettra d'importantes économies d'énergie. Le PIB n'est plus un bon indicateur de la santé d'un pays. Jacques Delors expliquait déjà il y a quarante ans qu'il valait mieux se fier aux indicateurs sociaux : qualité du logement, accès à l'éducation, à la culture, emploi. Bref, des critères pour que chacun s'épanouisse dans sa vie.

Les gains de productivité des trente dernières années sont colossaux grâce aux robots et aux ordinateurs. Actuellement, il y a ceux qui travaillent 35 ou 39 heures, les chômeurs qui font 0 heure, les précaires qui font 15 à 20 heures, les cadres surmenés qui font 60 heures. Les seuls gagnants dans l'affaire, ce sont les actionnaires. Il faut tout remettre à plat. Entre 1900 et 1970, on a divisé par deux le temps de travail alors que la productivité augmentait doucement. Depuis 1970, on ne réduit plus le temps de travail alors qu'elle a fait des bonds de géant.

Il ne faut pas se tromper de diagnostic : les délocalisations représentent 15% des destructions d'emplois. Les 85% restant sont dus aux gains de productivité. La production industrielle aux Etats-Unis est stable depuis dix ans, alors que dans le même temps les emplois industriels ont chuté. Même chose en Europe. La question fondamentale n'est donc pas la mondialisation mais les gains de productivité et ce qui devrait être leur corollaire : le partage du temps de travail. » 


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[Aux Etats-Unis] les négociations entre démocrates et républicains bloquent de nouveau sur le relèvement du plafond de la dette publique du pays. Celui-ci a été touché à la mi-mai, et le Trésor américain ne cesse de répéter qu'il aura épuisé le 2 août tous les expédients dont il a pu user jusque-là pour éviter de se retrouver dans la situation de ne pas pouvoir honorer en temps et en heure ce qu'il doit aux détenteurs de ses obligations [...](10 juillet 2011, lci.tf1.fr



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