lundi 24 mai 2010

Entretien avec E. Todd

Emmanuel Todd : « Le débat n'a aucun sens »
(leprogres.fr, le 23.05.2010)

[...] je suis évidemment pour défendre les retraites. Mais c'est un problème de long terme, alors que nous vivons une crise majeure de court terme. [...] En termes d'économie immédiate, la question des retraites n'a aucun sens. Le gouvernement veut donner l'impression qu'il affronte la réalité, la vérité est qu'il fuit la réalité.

[...] Le vrai problème de la France, c'est la disparition de notre industrie, les délocalisations d'entreprises, la stagnation du niveau de vie. A terme, si nous ne faisons rien, notre société est menacée d'appauvrissement, ce qui remettrait complètement en question toutes les décisions qu'on prépare sur les retraites. [...] je suis désolé d'être obligé de le rappeler : l'avenir d'une société, ce sont ses jeunes, pas ses vieux !

[...] La crise économique crée une tension très dure sur le marché du travail, et la vie professionnelle est vécue comme une jungle dont on n'a qu'une envie, c'est de sortir le plus vite possible. Le débat sur les retraites traduit cela : les gens s'intéressent plus à l'après-vie professionnelle, comme un refuge à atteindre, qu'à leur travail, qui leur est devenu insupportable.

Les premières victimes de la crise sont les ouvriers, qui sont en train de disparaître avec notre industrie, et l'on va d'ailleurs se rendre compte que ce sont les ouvriers qui étaient les véritables créateurs de la richesse du pays. Jusqu'à il y a quelques années, ces ouvriers faisaient grève pour protéger leur outil de travail. Maintenant, ils se battent pour négocier leurs conditions de départ.

Leur attitude est très analogue à celle des dirigeants d'entreprise qui essaient de s'en mettre plein les poches, à coups de stock-options ou autres, avant de se faire éjecter …

C'est une ambiance d'Apocalypse Now, d'après moi le déluge.

[...] L'euro est mort [...] si l'Europe n'est pas capable de sortir de la crise par le haut, par la mise en place d'un protectionnisme au niveau du continent. Mais comme c'est très difficile, le plus probable est la disparition de l'euro, de manière ordonnée ou dans la pagaille.

[...] Les crises actuelles sont très dures, je ne minimise pas les souffrances qu'elles provoquent, mais ce sont des crises de transition. La tendance de fond est aux grandes retrouvailles de l'humanité.

Recueilli par Francis Brochet

Publications d'Emmanuel Todd

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