mardi 15 juin 2010

L'égalité, un principe qui a des conséquences

Pour vivre bien, vivons égaux !
(Nicolas Journet, scienceshumaines.com)

Démonstration chiffrée à l’appui
, deux spécialistes britanniques affirment que l’inégalité des revenus est le principal obstacle à la santé et au bonheur des habitants des pays développés.
Apparue en avril 2009, une rumeur venue d’Angleterre commence à traverser la Manche, et elle dit à peu près ceci : « Ce n’est pas la richesse qui fait le bonheur des sociétés, mais l’égalité des conditions. »

[...] il ne s’agit pas de projet, mais d’un bilan patiemment compilé et mis en forme par deux épidémiologistes britanniques, dont le dernier ouvrage, The Spirit Level (sous-titré « Pourquoi l’égalité fait du bien à tout le monde », publié en 2009 et repris en poche en avril 2010), a fait un succès rare dans le genre.

[...] Richard Wilkinson, son coauteur, n’en est pas à son coup d’essai : depuis trente ans, il compile chiffres et indices sur les données sociales de la santé. En 1996, il publiait un livre résumant de nombreuses études constatant que les pays où l’espérance de vie est la meilleure ne sont pas toujours les plus riches. Les Japonais et les Norvégiens vivent quelques années de plus que les Américains et les Anglais. Pourquoi ? D’après R. Wilkinson, parce que l’écart des revenus dans ces deux pays est inférieur à celui des deux autres.

The Spirit Level part du même bilan, mais pour l’enrichir d’une foule d’arguments supplémentaires et passer du constat à la théorie. Kate Pickett et R. Wilkinson ont uni leurs efforts pour traiter les données agrégées d’une vingtaine de pays développés : niveau de richesse, dépenses de santé, écarts de revenus d’un côté, et données sociales de l’autre.

Selon eux, les résultats sont clairs : sentiment de confiance, état de santé, longévité, obésité, taux de maladies mentales, taux d’incarcération, taux d’homicides, toxicomanie, grossesses précoces, succès ou échecs scolaires, bilan carbone et taux de recyclage des déchets, tous les chiffres vont dans le même sens. Plus qu’à n’importe quel autre indicateur, de richesse, de culture ou de dépense publique, c’est à l’écart variable des revenus que l’on doit attribuer le score de chacun des pays sur l’échelle des performances.

Conclusion : le principal facteur de nuisance, pour un pays développé, c’est le creusement des écarts de conditions économiques. Sur presque tous les chapitres, le Japon, la Norvège, la Suède, la Finlande, et souvent l’Espagne, la France et le Canada, font mieux que les États-Unis, l’Australie, l’Angleterre et le Portugal, où les écarts de revenus sont plus importants.

[...] dans un pays inégalitaire, leur espérance de vie, à niveau de revenu supérieur, peut être inférieure à celle de leurs homologues dans un pays plus égalitaire.

« Les bénéfices d’une égalité accrue se répartissent dans toute la société, et améliorent la santé de tout le monde, pas seulement celle du bas de l’échelle. En d’autres termes, quels que soient les niveaux de revenus, on vit d’autant mieux que le pays est égalitaire. Ce n’est pas seulement vrai pour les pauvres, mais pour les autres aussi », écrivent-ils.

Reste que l’on se demande pourquoi. Pour avancer une théorie, K. Pickett et R. Wilkinson sont allés glaner sur les terres de la psychologie et de l’éthologie animale : ils suggèrent que l’inégalité est source de domination, que la domination provoque le stress, et que le stress rend malade. [...] La richesse, parce qu’elle sert de jugement de valeur, est déprimante pour les pauvres et stressante pour les riches.

[...] Les deux chercheurs ont créé un site sur le Net, « Equality Trust », chargé de promouvoir les idées de réforme sociale allant dans le sens voulu.

[...] Mais cet enthousiasme n’est évidemment pas unanime. Il y a toutes sortes de raisons pour trouver que l’égalité est un objectif horripilant, contraire à la liberté, archaïque, etc. Des commentateurs peu amènes ont vu en R. Wilkinson une sorte de communiste attardé, ou de militant de la décroissance.

En fait, selon Christophe Bouillaud (IEP-Grenoble), The Spirit Level n’est pas un ouvrage gauchiste, mais utilitariste et positiviste, en ce sens qu’il ne pose pas une utopie politique, mais s’appuie sur le calcul des plaisirs et des peines : que cela plaise ou non, l’égalité serait efficace parce que permettant de considérables économies sociales. [...]

*********

Et pendant ce temps, les inégalités continuent à croître …
(14.06.2010, le blog de Laurent Pinsolle)

Il y a quelques décennies, James Galbraith avait attribué à l’explosion des inégalités une part de responsabilité dans la Grande Dépression des années 30. [...] Galbraith a montré le rôle des inégalités dans la création des crises financières, par l’afflux de liquidités qu’elles provoquent dans les marchés d’actifs. [...]


*********

Repenser la pyramide des professions
De la valeur ignorée des métiers

(Pierre Rimbert, mars 2010, monde-diplomatique.fr)

Alimenté par la récession, les frasques de la City et la perspective des élections législatives du printemps, le débat sur les inégalités s’installe au Royaume-Uni. Une recherche dévoile la face cachée du système de rémunération.

[...] Dans le cas d’un ouvrier du recyclage, payé 6,10 livres sterling de l’heure (environ 7 euros), les auteures estiment que « chaque livre dépensée en salaire générera 12 livres de valeur » pour l’ensemble de la collectivité.
En revanche, « alors qu’ils perçoivent des rétributions comprises entre 500 000 et 10 millions de livres, les grands banquiers d’affaires détruisent 7 livres de valeur sociale pour chaque livre de valeur financière créée ». [...]

Baptisée « retour social sur investissement », la méthode utilisée pour quantifier la valeur générée par un emploi prend la théorie économique standard à son propre piège.

[...] les cadres du secteur publicitaire « détruisent une valeur de 11,50 livres à chaque fois qu’ils engendrent une livre de valeur ». La proportion s’inverse si l’on considère le travail d’un agent de nettoyage hospitalier.

[...] Hier encore justifiées au nom de l’« effet de percolation » (« trickle-down theory ») selon lequel la richesse des plus cossus profite à tous puisqu’elle finit par ruisseler sur le front des pauvres, les inégalités inquiètent jusqu’aux libéraux à mesure que leur accroissement dissipe les dernières illusions de la « mondialisation heureuse ».

[...] une étude de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) relève que, entre le milieu des années 1980 et le milieu des années 2000, les inégalités de revenus se sont creusées dans dix-neuf des vingt-quatre pays étudiés. Les coûts sanitaires et sociaux de cette dénivellation vertigineuse sont documentés. [...]

Aucun commentaire: